vendredi 8 décembre 2023

COURS 4 (2023) : LA RÉCEPTION PAR UN PUBLIC DE L' OEUVRE EXPOSÉE, DIFFUSÉE OU ÉDITÉE (Terminale SPE)

 ► MONSTRATION DE L'OEUVRE VERS UN LARGE PUBLIC : Faire regarder, éprouver, lire, dire l'oeuvre exposée, diffusée, éditée, communiquée

Les centres d'art, les musées, galeries s'interrogent sur les données et modalités d'une médiation. Certains vont mettre à disposition un plan de la salle pour que le spectateur puisse se repérer, des textes sont affichés, des visites commentées sont souvent prévues, des ateliers, des audioguides peuvent être  proposés au public. 

Tout cela permet d'expliquer le travail de l'artiste, d'éduquer le public, d'éclairer la compréhension de l'oeuvre, de guider le spectateur. 

Dans l'exposition "Faire son temps" de Christian Boltanski (1944-2021) organisée par le Centre Pompidou, un document est proposé à l'entrée pour le visiteur. Un extrait d'un entretien entre Bernard Blistène (conservateur et directeur du Centre  Pompidou) et Christian Boltanski y est imprimé et sert d'introduction à l'exposition. 

Une deuxième partie est composée des photographies de toutes les œuvres exposées avec une petite explication assez sommaire pour chacune. 

Une troisième partie montre le plan de l'exposition avec l'emplacement des œuvres numéroté qui renvoie à la liste précédente. 

Pour finir, il est noté le nom du commissaire, celui de l'architecte-scénographe, le chargé de production, les partenariats, les remerciements, les publications, les dates des ateliers, visites commentées, spectacles qui auront lieu durant le temps de l'exposition. 


Document d'information sur l'exposition de Christian Boltanski Centre Pompidou 2019 2020.


Le centre Pompidou dispose d'une grande librairie et a sa propre maison d'édition. Chaque exposition est l'occasion d'en éditer le catalogue. 



Pour les rencontres de la photographie d'Arles qui ont lieu chaque année de juillet à septembre dans toute la ville, (et même hors de la ville), un plan est fourni pour guider le spectateur dans la ville, le renseigner sur les expositions et leur emplacement. Un site internet en parallèle est disponible : https://www.rencontres-arles.com/ pour compléter l'information, ainsi qu'une newsletter  que reçoit l'abonné. 
Des visites, rencontres, formations sont proposées durant l'été, le spectateur devient acteur de ces rencontres. 
C'est aussi l'occasion d'éduquer le regard du public scolaire avec "la rentrée en images" où les écoles de la maternelle à l'université sont invitées gratuitement à venir passer une journée en présence de médiateurs et d'artistes. 



L'information peut prendre également la forme d'un livret dans lequel le spectateur pourra trouver des informations (comme ci-dessous pour l'exposition "Par hasard" à la Vieille Charité à Marseille en 2019 2020).


Ces exemples d'exposition montrent le rôle pédagogique de l’événement. 

Pour une exposition dans un musée ou centre d'art différents métiers interviennent : 

- Le conservateur fait l'inventaire des œuvres, il est la plupart du temps directeur de la structure. Il écrit des textes, livres sur les expositions et participe à la diffusion des œuvres.

- le commissaire d'exposition ou muséographe (souvent le conservateur) décide des thèmes des expositions, choisit les œuvres et la scénographie. 

- Le documentaliste travaille pour le conservateur, il fait des recherches sur les artistes, œuvres etc...

- Le chargé de communication s'occupe de faire connaitre toutes les activités proposées par la structure et contribue à la diffusion de l'exposition.

- Le photographe est chargé de photographier toutes les œuvres, et de garder une trace des expositions.

- Le régisseur des œuvres : chargé des transports des œuvres, de leur conservation.

- Le restaurateur intervient lorsqu'il y a dégradation des œuvres. Il n'y a pas de restaurateur pour chaque musée. 

Le scénographe va travailler avec le commissaire d'exposition pour la mise en espace des œuvres. 

Les techniciens manipulent les œuvres, construisent les vitrines, socles, meubles servant à l'exposition et travaillent avec le scénographe et le commissaire d'exposition.

Les médiateurs sont chargés de préparer les visites et aident le public à comprendre l'exposition.

► L'EXPOSITION COMME DISPOSITIF DE COMMUNICATION OU DE MÉDIATION, DE L'OEUVRE ET DE L'ART :écrits, traces et diffusions, formes, temporalités et espaces. 


Dans les dispositifs de présentation des oeuvres il faut distinguer deux espaces distincts : 

- la BLACK BOX qui est plutôt destinée pour les arts vivants (théâtre, danse) la salle est obscure, le spectateur est passif, le plus souvent assis, seules sa vision et son ouïe sont sollicitées.  Le spectateur est face au spectacle. Le rapport au temps es linéaire.

- LE WHITE CUBE est un espace blanc généralement conçu pour les expositions d'art, dont la neutralité efface tout contexte. Le spectateur déambule, le rapport au temps est différent de la black box, il n'y a pas de début ni de fin. Le spectateur peut être actif et participé selon l'exposition. 

Certains chorégraphes ont décidé de brouiller les frontières et de faire sortir la danse de la black box et de se confronter au white cube du musée, chose difficile car l'espace muséal n'a pas de scène, de décor, d'éclairage spécifique, ni de théâtre. 

Merce Cunningham (1919 2009), chorégraphe avant-gardiste a bousculé les conventions en intégrant une part de hasard et d'improvisation dans ses chorégraphies .

En 1964 sa compagnie se produit au Museum des 20. Jahrhunderts à Vienne et invente un nouveau format qu'uil nommera "Museum Event". Ses Events sont des collages d'extraits de danses existantes qui pouvaient se passer de décor, d'éclairage spécifique et s'adapter à tout espace. Pas d'entrée ni de sortie de scène conventionnelles. Ce qui donnait une grande liberté et une grande souplesse.  Par la suite, 800 évènements ont été exécutés dans des parcs, places, jardins, musées, galeries, gymnases etc...


Merce Cunningham : Invitation: 7 jeunes artistes , Walker Art Center, 12 mars 1972.

 
 Un des danseurs de la Cunningham Résidency au national Gallery  Australie 2018 devant un wall drawing de Sol Lewitt.

4 danseurs exécutant le Walker Cunningham Event # 2, Walker Art Center à Cleveland USA, février 2017

En 1971, Trisha Brown ( 1936 2017 USA) expérimente le white cube à la verticale. Les danseurs sont suspendus avec un harnais leur permettant de se déplacer sur les murs. Le spectateur est au milieu en dessous et regarde le corps en mouvement comme il regarderait une oeuvre fixée au mur. L'oeuvre devient vivante et mobile. Il y a un temps défini. La chorégraphie se trouve à mi-chemin entre le spectacle et l'exposition grâce à l'espace muséal, le spectateur reste debout, peut se déplacer, changer de point de vue. 

Thrisha Brown,Walking on the Wall 20 à 30 min Whitney Museum of American Art New York 1971





Elle expérimentera également l'extérieur et fera sortir ses chorégraphies pour les confronter à l'architecture urbaine. Sa conquête d'espaces non spécifiques à la danse offre un dispositif de communication au public gratuit, ouvert vers des nouveaux spectateurs qui ne vont pas dans les théâtres et salles de spectacles, la ville devient espace de danse, mais aussi support esthétique,décor, et la danse prend une dimension plus large, plastique. 

Trisha Brown performing Roof Piece, New York, 1971


Man Walking Down the Side of a Building à SoHo  Trisha Brown






Dans un autre domaine, nous pouvons observer le travail de Julie Gautier (née en 1979)  apnéiste, vidéaste, réalisatrice  et danseuse.  Dans son court-métrage "AMA" elle exécute une performance  dansée dans un espace particulier : une piscine réservée à l'entraînement pour l'apnée. Cet espace non spécialisé en danse devient la scène de sa chorégraphie qui décloisonne les disciplines. L'espace est plein (eau) et pourtant il donne une légèreté au corps qu'on ne peut obtenir dans un espace vide.  Dans la vidéo ci-dessous vous pouvez regarder comment la diffusion du court-métrage a été organisé. Les lieux  de diffusion sont aux antipodes des lieux habituels. 


"AMA" Julie Gautier, 2018 ballet aquatique Court métrage de 7 minutes

ci dessus court métrage AMA 


ci-dessus making of "AMA".


Pour aller plus loin encore dans la réflexion sur la diversité des espaces et de temporalité de l'exposition, nous nous pencherons sur l' hôtel Walled off de Banksy construit à Bethléem en Palestine juste en face du mur de séparation entre la Cisjordanie et Israël.
Proclamé par Banksy lui même comme étant l'hôtel avec la pire vue au monde, ce lieu propose des chambres allant de 30 dollars pour une place dans un lit superposé  à 965 dollars la suite présidentielle. A l'intérieur, tout a été créé par Banksy et parle du conflit entre la Palestine et Israël. Ainsi pouvons nous voir dans une chambre au dessus du lit une peinture murale représentant un soldat israélien se battant avec un manifestant palestinien. L'hôtel est un musée, un lieu d'exposition à vivre. C'est une expérience inédite qu'il propose au spectateur : pouvoir y passer 24h et avoir un regard (au sens propre comme au sens figuré) sur le conflit vieux de presque 70 ans. 
Banksy, pro-palestinien depuis de nombreuses années, implique le spectateur. 

"The Walled off Hotel" Bethleéem  Cisjordanie ouverture en 2017



Salle de restaurant avec les œuvres de Banksy.


Vue d'une chambre sur le mur de séparation Palestine/Israël  Installation Banksy

Lits superposés.


Sur le site de l'Hôtel, Banksy répond dans une rubrique aux questions habituellement posées par les visiteurs : 

- « Est-ce une blague ? » « Pas du tout. Il s’agit d’un véritable hôtel avec de vraies chambres fonctionnelles et des places de parking en nombre limité. Géré par la communauté locale, il accueille chaleureusement les visiteurs venus des deux côtés du conflit et du monde entier. »

- « Est-ce sûr ? » " l’hôtel est situé dans une zone très fréquentée et touristique, avec restaurants, bars et taxis à proximité, et « à 500 m du check point pour Jérusalem ».

- Le site précise  qu’il n’y a pas besoin de visa pour les touristes étrangers pour venir en Israël : « Contrairement aux locaux, vous aurez la possibilité de voyager où vous voulez. » « La sécurité de l’aéroport de Tel-Aviv, cependant, est légendaire. Attendez-vous à ce que l’on vous demande la raison de votre séjour et si vous avez l’intention de vous rendre en Cisjordanie. Si vous répondez oui, vous serez peut-être retenu quelque temps, c’est pourquoi de nombreux visiteurs préfèrent ne pas spécifier cet aspect de leur séjour. »

-« Est-ce antisémite ? » « Absolument pas. L’Hôtel Walled Off est une structure de loisir totalement indépendante mise en place et financée par Banksy. Elle n’est alignée sur aucun mouvement politique ou groupe de pression. Son but est de raconter l’histoire du mur des deux côtés et de donner aux visiteurs l’occasion de le découvrir. Nous réservons le meilleur accueil aux jeunes Israéliens. Aucun fanatisme ne sera toléré sur place. »



dimanche 26 novembre 2023

COURS 3 (2023)LA MATIÈRE, LES MATÉRIAUX ET LA MATÉRIALITÉ DE L'OEUVRE ( TERMINALE SPÉ)

 I. RECONNAISSANCE ARTISTIQUE ET CULTURELLE DE LA MATÉRIALITÉ ET DE L’IMMATÉRIALITÉ DE L'OEUVRE. PERCEPTION ET RÉCEPTION, INTERPRÉTATION, DÉMATÉRIALISATION DE L'OEUVRE


Comment peuvent se renouveler les artistes ? Comment renouveler l'oeuvre ?  Les artistes confrontés au temps, aux avancées technologiques se posent régulièrement la question. Comment faire évoluer son art ?  Sa pratique ?  Comment faire reculer les limites ? Comment être encore dans l'exploration ? Les artistes peuvent adopter une pratique sociale, créer un événement, un happening, coller à l'actualité, placer son travail artistique dans le geste, le rendre immatériel etc...

Jean Tinguely avec son "Hommage à New York" en 1960 cherche à repousser les limites et à interroger le statut de l'oeuvre d'art et sa place dans le marché de l'art. Pensée comme un happening autodestructeur, l'oeuvre est construite dans le jardin du MOMA, un des plus grands  musées de Nex York. Le lieu est symbolique. La machine fait 16 mètres de long. Elle est conçue avec l'ingénieur Billy Klüver, elle a 80 roues de bicyclettes, de vieux moteurs, un piano, des tambours en métal, une baignoire etc.... Le 17 mars 1960, la machine se met en marche pour la 1ere et unique fois. La sculpture commence à s'autodétruire devant le public, l'idée est révolutionnaire et provocatrice : Proposer une sculpture dans une institution qui n'en gardera rien et qui échappera au marché de l'art. Sa destruction fait allusion à la vie éphémère, à la vacuité des choses, mais c'est aussi le symbole d'une grande liberté de la création artistique. 

« C’était surtout une liberté complète que je me donnais en construisant toujours en envisageant la possibilité destructive. C’est à dire en construisant quelque chose pour lequel je n’envisageais jamais de savoir est-ce que ça va durer une minute ou dix minutes ou deux heures ou dix ans. Mon problème là était uniquement de m’adonner à une construction complètement folle et libre. » Jean Tinguely
Les restes de l 'oeuvre finiront dans les poubelles du musée, ou emportés par les spectateurs. Il ne restera plus qu'un film de 9 minutes 40 et des photographies de cet acte transgressif. 


Jean Tinguely, Homage to New York, 1960 from Museum Tinguely on Vimeo.


hommage à New York Jean TINGUELY 1960

Banksy a repris cette idée d'autodestruction de l'oeuvre avec le happening qu'il a organisé durant la vente de " girl with balloon" le 5 octobre 2018 chez Sotheby's à Londres  où la toile s'est autodétruite avec un système caché dans le cadre. Mais l'oeuvre métamorphosée n'a pas disparu et son prix a explosé. 





Jean Tinguely et Yves Klein, amis,  ont de longues discussions sur la dématérialisation de l'art. Ils se questionnent sur comment créer sans matériaux, comment s'éloigner de l'objet artistique ? Jean Tinguely fera se dématérialiser des objets en les faisant tourner rapidement, la vitesse faisant disparaître la perception de l'objet. Klein est attiré par le vide, l'espace. 

Le duo fabriquera "l'excavatrice de l'espace" en 1958, un disque de métal peint avec de la résine et pigment bleu, installé sur un moteur électrique et pieds en métal. Le disque se met à tourner, et perd de sa densité, les contours deviennent flous. L'objet commence sa dématérialisation. 
Yves Klein et Jean Tinguely "excavatrice de l'espace" 1958 pigment pur et résine synthétique sur disque de métal, moteur électrique et pieds en métal 17x20.5x25 cm


"Il y a une relation passionnelle entre Yves Klein et Jean Tinguely. Klein semblait prêter à Tinguely l'idée que lui avait la force, qu'il était capable de mettre en branle, de faire ses machines, de bouger. Tinguely prêtait à Klein une luminosité poétique. Ce sont deux opposés qui se rencontrent dans une machine, dont le moteur est un disque bleu. La rotation de ce disque fait vibrer le moteur, qui le dématérialise et qui semble creuser l'espace. C'est fascinant pour le regard." Alin Avila, critique d'art 

L'artiste chinois Ai Weiwei aime mélanger les genres. Dans son oeuvre "sunflower seeds" commandée par la Tate Modern de Londres en 2010-2011, il fait fabriquer par 1600 artisans céramistes chinois (pendant 2 ans)  100 millions de graines de tournesol en porcelaine peintes à la main. Elles sont empilées sur 10 cm de hauteur sur une surface de 1000m2. L'installation est sensorielle, et permet au départ au spectateur de marcher directement sur ce tapis de graines, de les sentir crisser sous leurs pas, de pouvoir les prendre en main, voire d'en emporter avec lui, mais cette autorisation d'accéder à cette surface  a été vite enlevée car le frottement des graines a dégagé une poussière nocive pour la santé. Le spectateur s'est donc vu relégué sur les bords de l'installation en simple observateur. 
Cette oeuvre est politique. Les graines de tournesol, répandues en Chine, ont une portée historique : pendant la révolution culturelle chinoise (1966-1976) Mao Zedong, dirigeant, est représenté en soleil et le peuple en fleurs de tournesol tournées vers le soleil. Le tapis de graines représente donc le peuple chinois piétiné. Mais elles sont aussi une collation de rue courante en Chine, elles ont fait partie du quotidien de l'artiste enfant, elles évoquent le souvenir de la faim pendant la révolution culturelle. 

En employant des artisans chinois de Jingdezhen (ville qui fabriquait autrefois la porcelaine impériale pendant plus de 1000 ans)  pour la production de ces graines, Ai Weiwei nous parle également de la production chinoise, pas celle du "made in china" qui est synonyme de marchandise bas de gamme, mais celle faite par des artisans, celle du fait main, celle qui transmet un savoir faire artisanal ancestral. Il nous parle également du nombre important d'ouvriers au service d'un projet, d'une production intensive qui envahit l'Europe, voire le monde, de la place qu'occupe la Chine dans l'importation. D'ailleurs Aï Weiwei en joue puisqu'on peut trouver sur Ebay ces fameuses graines en céramique, vendues par petits sachets. L'oeuvre n'est plus une installation avec une forme fixe, elle devient une idée, les graines sont commercialisées, la Tate Modern a donc acquis une des 10 versions de l'oeuvre : un gros tas de graines, et non plus rependues au sol. Et étrangement le spectateur peut acquérir via internet quelques petites graines de tournesol en porcelaine tel un produit de consommation. 

Chaque graine est unique, et est considérée comme une sculpture minuscule. Ai Weiwei met en lumière l'individu et la force imposante du nombre d'individus. l'oeuvre "Sunflower Seeds" est reliée à la société, la politique et l'économie de la Chine. Elle parle de mondialisation, à la production de masse qui répond au consumérisme occidental. 


vue de l'exposition "Sunflower Seeds" 2010 2011 Tate Modern Londres après l'interdiction de marcher dessus. 

Sunflower Seeds 2010, l'oeuvre Ai Weiwei achetée par la Tate

AI WEIWEI , Sunflower Seeds (détail), 2010, graines de tournesol grandeur nature fabriquées à partir de porcelaine, tirées de l'installation de 100 millions de graines à Turbine Hall, Tate Modern, Londres. 

 Ai Weiwei peint des graines de tournesol en porcelaine fabriquées à la main à Jingdezhen, en Chine.

vue de l'exposition "Sunflower Seeds" 2010 2011 Tate Modern Londres

vue de l'exposition "Sunflower Seeds" 2010 2011 Tate Modern Londres

 avant l'interdiction de piétiner les graines.
un artisan en train de peindre une graine.



Ai Weiwei et son oeuvre "Sunflower Seeds" 2010 2011

Durant la pandémie du covid-19, Ai Weiwei imagine un projet pour collecter des fonds à but humanitaire. Dans son atelier de Berlin des masques anti-covid sont sérigraphiés à la main, portant chacun une image emblématique de l'oeuvre d'Ai Weiwei telle que les graines de tournesol ou "middle finger" . Ces masques sont vendus sur internet, les bénéfices sont reversés à des organismes caritatifs des droits de l'homme. Ai Weiwei mélange art, politique et social dans son travail, oeuvre d'art et objet quotidien, les matériaux ici sont chargés de signification, les supports (masques) sont détournés de leur fonction puisque avec une action de Ai Weiwei, le masque perd sa fonction première de protection pour devenir oeuvre d'art et objet de financement d'organisations caritatives. 

« La pandémie COVID-19 est une crise humanitaire. Elle remet en question notre compréhension du XXIe siècle et met en garde contre les dangers à venir. Elle oblige chaque individu à agir, seul ou collectivement », déclare Ai Weiwei.


"Chaque petite action individuelle devient puissante lorsqu'elle s'intègre dans une réponse sociale. Le port du masque est un geste individuel. Lorsque toute une société porte un masque, cela devient un combat contre un virus mortel. Et une société composée d'individus choisissant de porter un masque sans y être forcés par les autorités peut défier et résister à n'importe quelle force. Aucune volonté n'est trop petite. Aucun acte n'est dépourvu de pouvoir" Ai Weiwei


masque avec graines de tournesol 2020 encre sur tissu en polypropylène

Mask With Middle Finger, 2020 Encre sur tissu en polypropylène

Document accompagnant l'oeuvre signé par l'artiste  Dimensions de l'enveloppe : 24 x 16 cm


Mask With Middle Finger, 2020 Encre sur tissu en polypropylène

COURS 4 : LA MATIÈRE (1ere SPE)

I. PROPRIÉTÉS DE LA MATIÈRE ET DES MATÉRIAUX. LEUR TRANSFORMATION

1.  MATIÈRES PREMIÈRES DE L'OEUVRE :
Les matières premières utilisées lors de la préhistoire sont l'ivoire, le bois, la pierre, les ocres... Dès la fin du paléolithique (âge de pierre ancienne), on constate la présence de l'art préhistorique figuratif. Les thématiques, techniques et supports sont divers, le représentations sont animales, humaines, ou des signes.  l'homme préhistorique a des préoccupations artistiques. Il prend plaisir à dessiner, peindre, sculpter, graver. 

La Dame de Brassempouy dite également "Dame à la Capuche" est un fragment de statuette en ivoire de mammouth. Elle date du Paléolithique supérieur (21 000 avant JC). Elle est assez réaliste et c'est l'une des représentations humaines les plus anciennes. Elle a été trouvée à Brassempouy petit village des Landes. Elle toute petite : 3.66 cm de haut. 


La Vénus de Willendorf est une statuette de calcaire, datant du Paléolithique supérieur. Elle a été trouvée à Willendorf en Autriche. Elle mesure 11cm de haut, elle représente une femme nue debout aux formes généreuses. Des restes de pigments laissent penser qu'elle a été peinte initialement en rouge. les courbes rondes et hypertrophiées pourraient être des symboles de fécondité. 



D'autres statuettes en argile cuite (les premières céramiques) ou en bois : 


Le marbre est une roche dérivée du calcaire, composée principalement de calcite. Il présente une légère transparence qui donne une certaine transluminescence, une profondeur visuelle et une lumière qui après avoir pénètré jusqu’à  2 ou   3 cm de profondeur se réfracte sur le cristaux de calcite. En sortant de la carrière le marbre est relativement souple, il durcit avec le temps pour devenir très résistant. 


Carrière de marbre de Carrare.


Michel-Ange (1475 1564) artiste de la Renaissance, disait que sa mission était de libérer la forme humaine piégée à l'intérieur du bloc. 



LE BERNIN (1598-1680) est un  artiste italien sculpteur surnommé le "second Michel-Ange". il appartient au Baroque, il recherche le mouvement, la torsion des formes, et le spectaculaire. Il met en scène ses sculptures qui sont traitées de manière très minutieuse, avec une attention toute particulière pour le détail, le grain de la peau, le marbre devient chair. Il semble prendre vie. 



Un des chefs-d’œuvres  les plus connus du Bernin est "Apollon et Daphné" qui date de 1622, 1625. Il lui aura fallu 3 ans pour sculpter l'ensemble. La composition est très dynamique,  en ligne oblique, la forme est hélicoïdale. Les corps sont lisses et sont en opposition avec les feuillages, roches et tronc qui eux  sont rugueux et ont des aspérités. La sculpture est ciselée au niveau des feuillages, des cheveux qui sont presque transparents. Le spectateur ne peut que tourner autour pour découvrir chaque détail. la sculpture est théâtrale. 

Détails de "Apollon et Daphné" Le Bernin 








Quelques siècles plus tard, Auguste Rodin (1840 1917) modèle la terre de ses doigts, et utilise le plâtre pour pouvoir en faire des moulages et en tirer plusieurs exemplaires. Avec ses éléments multiples il va pouvoir combiner les morceaux pour créer de nouveaux assemblages et donc de nouvelles sculptures. Une tête par exemple pourra servir à plusieurs sculptures. Ses fragments multiples s'appellent des abattis. Cela devient une sorte de répertoire de formes dans lequel il puise son inspiration au grès des assemblages qui lui viennent en tête. Il explore la forme, son association avec d'autres. Collectionneur de sculptures antiques, la fragmentation est naturelle chez lui. 



Rodin dans son atelier

Rodin devant sa collection de sculptures antiques. 


Quelques exemples d'assemblages de parties de corps : bustes + bras + têtes : 

Les clous visibles sont des points marqués pour pouvoir en faire une sculpture plus grande. 




Dans sa "porte de l'enfer" qui sera l'œuvre de toute sa carrière, il créa plus de deux cents figures et groupes qui devinrent son vivier de formes dans lequel il puisa toute sa vie. 
Auguste Rodin "La porte de l'enfer" bronze 1880 1890 fonte en 1928

Dans son oeuvre "Monument à Puvis de Chavannes" datant de 1899 1903, on observe un assemblage de plusieurs éléments : en 1891 il réalise le buste de son ami Puvis de Chavannes, peintre célèbre du temps de Monet. A sa mort Rodin reçoit la commande de créer un monument commémoratif. Il assemble le buste avec des figure et objets préexistants. Le buste et posé sur deux chapiteaux superposés sur table. A côté , un grand "génie du repos éternel" cueille des fruits d'un pommier. Rodin fait référence à l'antiquité qu'il affectionne : les éléments architecturaux font référence aux sites archéologiques. 

L'utilisation du plâtre lui permet de travailler vite, mouler, reproduire des sculptures et assembler. 






Bien plus récemment, George Segal (né en 1924 et mort en 2000 aux USA) est un sculpteur associé au Pop art, qui utilise les bandes de plâtre. il moule sur modèle vivant, ses sculptures sont donc à échelle humaine. Leur côté anonyme leur donne une certaine nostalgie, voire une certaine tristesse.  Certaines de ses sculptures sont tirées en bronze peint. 



Au XXe siècle, l'Arte Povera est un mouvement artistique qui interroge la matière brute, pauvre.



Ci-dessous deux exemples d'artistes de l'Arte Povera, dont les sculptures sondent l'importance de la matière : 
Giovanni Anselmo propose une sculpture faite de différentes matières premières assemblées, créant un contraste au niveau de la forme, de la matière, de la signification. La salade périssable devra être changée tous les jours pour que l'oeuvre ne meure pas, le petit bloc de granit en est l'attestation, il ne bougera pas tant que la salade reste fraîche. Ainsi l'artiste parle de vie et de mort, de couleur et de noir et blanc, de forme irrégulière et de forme géométrique froide. 



L'œuvre de Giuseppe Penone ci-dessous "le souffle" est une grosse motte d'argile dans laquelle l'artiste a laissé l'empreinte de son corps. Le haut commence par l'empreinte de l'intérieur de la bouche de l'artiste, il a mordu la terre pour laisser la trace de l'intérieur de son corps, on y voit ensuite en descendant l'empreinte de sa chemise puis de son pantalon. Le titre "le souffle" nous indique qu'il matérialise l'air autour de lui, cet air qui sort de ses poumons. Ainsi "le souffle" matérialise l'immatériel. Le corps est absent, il n'y a plus que sa trace. La matière garde la mémoire de ce qui a été et n'est plus en l'état.





2. L'USAGE DE LA PEINTURE COMME MATIÈRE 

La peinture peut être liquide, transparente, ou au contraire épaisse, granuleuse. Elle peut devenir matière et accrocher la lumière, créer de véritables ombres dans ses sillons. Certains artistes tels que Jusepe de Ribera ou Rembrandt n'hésitent pas à utiliser la peinture épaisse pour créer des reliefs, de véritables rides sur les visages,  de manière à ce que les ombres réelles réagissent avec la lumière naturelle, donnant un certain réalisme. La peinture devient là aussi peau. 


Jusepe de Ribera "Saint Francis of Paola" 1640 huile sur toile 74x61.5



Détail de "Saint Joseph" de Jusepe de Ribera 1635



Jusepe de Ribera "Saint Joseph" huile sur toile 71.8x61.9







Bien plus tard, Pierre Soulages né en 1919 et mort en 2022, utilise dans ses monochromes  qu'il appelle "des outrenoirs" une peinture épaisse, de l'huile d'abord, puis de l'acrylique à partir de 2004. Il l'applique à la spatule, ou avec d'autres outils qu'il fabrique. Il utilise le noir non comme couleur mais comme matière qui reflète la lumière. Ses œuvres changent de couleur selon la lumière, la matière l' accroche, les ombres changent. L'épaisseur de la peinture crée des effets de matière. 


Peinture 324 x 362 cm, 1986. Polyptyque F


Dans l'œuvre ci-dessus "Polyptyque F" Soulages a utilisé une seule couleur de peinture, le noir, toujours le même, et pourtant il y a une variation de gris selon la lumière. Selon le point de vue, on peut même y voir d'autres couleurs lorsqu'on se trouve en face réellement. 




3. LA COULEUR COMME MATÉRIAU LIÉ à SON SUPPORT

Chez Morris Louis la couleur n'est plus liée à la forme mais au support. Il ne peint plus sur la toile mais il imprègne la toile de couleur. La toile n'est pas apprêtée, elle est brute, et son grain apparaît à travers la couleur. La couleur unie au support devient matériau. Le tissu devient peinture lui-même. Il est teint. 


Support/Surface est un mouvement artistique français qui va interroger la matérialité de la toile. Une toile est un châssis en bois avec un textile apprêté ou non, cloué sur le côté. Généralement le dessus de la toile est visible, le reste est caché. Les artistes de support/surface vont décomposer l'idée de la toile, et vont la transformer soit en support, soit en surface. Ainsi certains artistes travailleront la toile brute à la peinture, sans châssis, ce qui ouvrira la réflexion sur la présentation de l'œuvre (comme Claude Viallat ci-dessous), d'autres transformeront l'idée de châssis en sculpture et donc en support comme Daniel Dezeuze







4. LA COULEUR  COMME VALEUR ET COMME OEUVRE

La couleur a toujours eu une signification. Durant l'Antiquité les couleurs étaient restreintes : rouge, noir, blanc. Le bleu est ignoré des Romains. Le rouge est très prisé à Pompéi. les couleurs sont fabriquées à partir de pigments d'origine végétale ou minérale.  Au Moyen-Âge les moines cisterciens considèrent que la couleur détourne l'esprit des activités liturgiques. 






A partir du XIIe siècle, le bleu apparaît. C'est une couleur chère, plus que l'or car elle provient d'une pierre, le Lapis-Lazuli qu'on trouve en  Perse (Afghanistan), une pierre qui est broyée pour obtenir la couleur . Elle sera utilisée pour représenter le manteau de Marie et les commanditaires demanderont, selon leurs finances, une certaine quantité de bleu dans la peinture.  


Au XXe  siècle, la couleur devient indépendante avec Yves Klein (1928 1962). Il invente et dépose un brevet pour le IKB : International Klein Blue. Avec l'aide de chercheurs, il met au point un pigment qui renvoie la lumière et donne une aura à l'oeuvre. L'espace autour du bleu se colore. Le bleu est électrique,  extrêmement lumineux. Il rend visible l'espace autour de la toile. Il rend visible l'immatériel. La couleur devient oeuvre. Cela lui donne une certaine spiritualité.








Mais Klein n'est pas le seul à expérimenter la couleur autonome. Anish Kapoor crée des œuvres monochromes également, inspirées par ses origines indiennes. En 2016 il achète le brevet du noir le plus noir au monde. Le Vantablack absorbe 99,96 % de la lumière visible. Il n'y a donc ni reflet, ni ombre. Le Vantablack permet à tout objet recouvert de cet ultra-noir d'être invisible. Destiné à un usage militaire, il permettait de dissimuler à la vue satellites et avions de combat. 




 « C’est si noir que vous ne pouvez presque rien voir. Imaginez un espace si sombre qu’en y pénétrant vous perdez toute idée de qui vous êtes, d’où vous êtes et la conscience du temps. Votre état émotionnel en est affecté et, sous le coup de la désorientation, il faut que vous trouviez, à l’intérieur de vous, quelque chose d’autre. » Anish Kapoor. 

Le Vantablack perturbe la perception. On ne sait plus si la surface est creuse, bombée pour plane. Rien ne nous l'indique. Kapoor, en achetant le brevet, garde le monopole sur cette peinture. Aucun artiste ne peut l'utiliser. Ce qui a provoqué de vives critiques. La couleur devient ainsi, comme pour le bleu durant le moyen-âge, un pigment jalousé, convoité, inaccessible.  

Pour la petite histoire, l'installation ci-dessous "descente dans les limbes" est une installation avec un disque noir. L'illusion d'optique donne le sentiment que la surface est plane. Or, le disque est un trou en en 2018 un spectateur est tombé dans le trou faisant une chute de 2.5m. 




Dans un autre registre, Wolgang Laib prélève la couleur dans la nature. Les pigments sont purs puisqu'il s'agit de pollen, c'est une matière première. Les grains ovoïdes multiplient les zones de surface de réflexion de la lumière, ce qui donne à l'installation un grand pouvoir lumineux. La couleur ici est également là pour ce qu'elle est, elle n'a pas besoin de support, elle est volatile; 



II. ÉLARGISSEMENT DES DONNÉES MATÉRIELLES DE L'OEUVRE : INTÉGRATION DU RÉEL, USAGES DE MATÉRIAUX ARTISTIQUES ET NON-ARTISTIQUES


1. Introduction du réel comme matériau ou élément du langage plastique : 

Au 20e siècle, les artistes commencent à intégrer le réel dans leur pratique artistique jusqu'à utiliser des matériaux non-artistiques. Pablo Picasso sera le premier à intégrer des  objets dans l'œuvre avec sa "nature morte à la chaise cannée". On y retrouve une toile cirée avec une impression de faux cannage et une corde en guise de cadre. C'est une œuvre appartenant au cubisme. La nature morte est faite de différents points de vue ce qui crée une lecture difficile de la forme fractionnée et éclatée. On y devine un début de journal avec les lettres JOU, un chandelier, et les couleurs ocres fusionnent. 





En 1917 Marcel Duchamp va utiliser un urinoir acheté dans une quincaillerie, et  va  l' élever au rang d'œuvre d'art en le signant "Richard Mutt". l'œuvre s'appelle "Fontaine" et c'est un "ready-made", un objet déjà fait, qui n'est pas transformé. La démarche est radicale. Membre de la société des artistes indépendants de New-York, Marcel Duchamp et ses confrères organisent des expositions où tout artiste peut exposer sans passer par un  jury. Il n'y a donc pas de sélection, il suffit d'adhérer à l'association et de payer sa contribution. Marcel Duchamp, toujours facétieux et provocateur,  décide de proposer sa "fontaine" sous un pseudonyme "R. Mutt" pour ne pas être reconnu. Evidemment, l'urinoir est refusé au motif de ne pas être une œuvre d'art. Contrairement au règlement, un jury se réunit et vote pour ne pas l'exposer jugeant l'objet immoral et vulgaire. Duchamp démissionne. La presse s'en empare, et le galeriste Alfred Stieglitz, à la demande de Duchamp, réalise une photographie de la fontaine devant un tableau de Marsden Hartley. Il exposera dans sa galerie l'urinoir à New York. L'œuvre rentre dans l'histoire de l'art et marque un tournant. On a perdu la trace de l'urinoir par la suite, on ne sait pas s'il a été détruit ou volé, mais d'autres ont été signés. 



Marcel Duchamp fait partie du Dadaïsme, mouvement artistique qui a vu le jour pendant la 1ere guerre mondiale. Ce groupe est dégouté par la guerre qui est une vraie boucherie, il la trouve complètement aberrante, et la pratique DADA tourne autour de l'absurde. il déconstruit les langages, s'attaque au conformisme, à la bourgeoisie. il sera le premier à intégrer le réel et le non artistique dans l'art 





Francis Picabia est un autre artiste faisant partie de DADA. Alors qu'il est atteint d'un zona à l'œil, il va peindre un œil sur une toile puis inviter ses amis à y écrire. Cette œuvre sera également refusée au salon des indépendants. "L'œil cacodylate" devient une œuvre collective et le non artistique du moment devient art. 

Le célèbre photographe américain Man Ray, ami de Marcel Duchamp, photographie Kiki de Montparnasse, danseuse de cabaret surnommée "la reine de Montparnasse". Sa photographie " Violon d'Ingres" fait référence à la peinture de Jean Auguste Dominique Ingres "la baigneuse de Valpinçon".. Avec une mine de plomb il dessine les ouïes d'un violon sur la photographie et transforme le corps en instrument. "Violon d'Ingres" devient un jeu de mot : le violon d'Ingres de Man Ray est Kiki de Montparnasse puisqu'elle était sa maîtresse, sa muse. 
 

 Jean Auguste Dominique Ingres "la baigneuse de Valpinçon" huile sur toile 1808 146 cm x 97 cm


Kurt Schwitters, artiste allemand, fait également partie de DADA. il incarne l'esprit anarchiste du groupe. Il crée des collages d'objets hétéroclites qu'il assemble en des tableaux reliefs. 




Dans les années 60, le nouveau réalisme, mouvement artistique français, utilise l'objet de récupération et prône pour un retour à la réalité. Les objets sont prélevés dans le quotidien, et vont être assemblés. 



Daniel SPOERRI fait partie du Nouveau Réalisme et invente en 1960, ses tableaux-pièges. C'est une manière d'immortaliser des restes de repas. Il organise des repas à thème, puis colle les restes. l'ensemble est ensuite relevé et accroché contre un mur, ramenant l'action à une image presque bidimensionnelle. La table n'est plus présentée comme telle, mais comme tableau au mur. Le réel est fixé, le non artistique devient constituant plastique. 

" Des objets trouvés au hasard, en ordre ou en désordre, (sur des tables, dans des boîtes ou dans des tiroirs), sont fixés, piégés tels quels. Par exemple, les restes d’un repas sont collés sur la table même où le repas a été consommé et la table est accrochée au mur. " Daniel Spoerri.

Daniel SPOERRI "Repas Hongrois" 1963 103x205x33



Yves Klein fait également partie du nouveau réalisme mais sa pratique est différente. Il n'utilise que très peu les objets. Son rapport à la réalité est dans son utilisation de corps comme pinceaux vivants. Des femmes modèles s'enduisent de peinture bleue (le IKB)  et appliquent leur corps contre le support, laissant des anthropométries (empreintes de corps) comme des notes de musique. 
Elles deviennent des performances, un orchestre joue pendant que les jeunes femmes laissent leur empreinte sous la direction de l'artiste. 







2. Traitements des usages de la lumière dans une pratique plastique : 

a. La lumière représentée 

Représenter la lumière a été une problématique que bons nombres d'artistes ont exploré. Comment représenter ce phénomène visuel et immatériel, cette ambiance particulière qui en découle selon son intensité ? 

Le Caravage (1571 1610) artiste  italien génial et talentueux, qui donnera son nom à un courant "le Caravagisme" est devenu le maître du clair obscur. Ses fonds noirs mettent en lumière les personnages et annulent la profondeur. Dans "l'arrestation du Christ" il éclaire seulement les visages et met quelques reflets lumineux sur les armures des soldats, donnant une ambiance sombre, sourde et malsaine. On comprend, seulement par l'usage de la lumière qu'il y a eu trahison. Judas, qui est à l'origine de la dénonciation, embrasse le Christ (c'est le signal, la désignation du Christ). Il est aussitôt   empoigné par les soldats, et il ne se défend pas, donnant ses mains jointes au premier plan. Elles sont éclairées également. Pendant ce temps, son serviteur part demander de l'aide, il est hors champ sur la gauche, les soldats sont anonymes, et un badaud à droite tient une lampe qui n'éclaire pas comme elle devrait (petite anomalie volontaire qui montre que Le Caravage dirige la lumière comme il l'entend).  Le badaud est un autoportrait, il s'agit de Caravage qui s'est représenté dans la scène en tant que spectateur. Les deux personnages principaux : le Christ et Judas, sont dans la lumière. 

Le Caravage "l'arrestation du Christ"1602 huile sur toile 133.5x169.5

On retrouve cet usage de la lumière dans le Caravagisme ci-dessous avec des artistes comme Georges de la Tour ou Gérard Van Honthorst. Les ambiances y sont différentes, elles peuvent être douces, chaleureuses, les visages peuvent être nets ou vibrants comme à la lueur d'une bougie, malgré la tricherie qui s'y joue dans cette scène de genre très prisée et déjà exploitée par le Caravage. 



Quelques années plus tard, c'est au tour des peintres hollandais de devenir les maîtres de la lumière et plus particulièrement Johannes Vermeer ( 1632 1675 Delft)  qui la met en scène. Elle vient la majeure partie de la gauche, une fenêtre est souvent présente ou  perceptible, la lumière est naturelle, douce et Vermeer excelle dans la représentation des matières sur lesquelles elle se pose. Les étoffes sont soyeuses, éclatantes, les peaux sont claires, et la lumière irradie. Mais cela vient également de l'utilisation du glacis. 
Un glacis est une superposition de plusieurs couches de couleurs transparentes, les couleurs deviennent alors beaucoup plus intenses, lumineuses. Les rayons lumineux traversent les couches, se réfléchissent sur le support blanc et donnent une certaine profondeur. C'est pour cela que la peinture de Vermeer est si lumineuse. 

Dans la peinture "l'art de la peinture" ci dessous, nous sommes face à une scène intime de pose. Il s'agit d'un autoportrait avec la muse de l'histoire : Clio (qu'on reconnait à sa couronne de laurier et sa trompette). Le drapé découvre l'espace de l'atelier, et sépare le spectateur observateur de la scène de genre. La fenêtre n'est pas visible mais on la devine grâce à la lumière. 
 


Presque deux siècles plus tard, William Turner ( 1775 -1851)peint la lumière de manière totalement différente et novatrice. Sa peinture est beaucoup plus gestuelle, les couches de peintures se superposent et créent de grandes variations de nuances. les traces de pinceaux sont apparentes, il est parfois à la limite de l'abstraction, un petit élément (comme ici ci dessous l'apparition du soleil) raccroche l'œuvre à la figuration. Des empâtements sont parfois visibles, créant de véritables reliefs et ombres. Il n'hésite pas à peindre au chiffon, au couteau, ou à coups de brosses pour donner plus de force. 

«Turner ...vous stupéfie, au premier abord. On se trouve en face d’un brouillis absolu de rose et de terre de Sienne brûlée, de bleu et de blanc, frottés avec un chiffon, tantôt en tournant en rond, tantôt en filant En droite ligne ou en bifurquant en de longs zigzags Devant les yeux dissuadés, surgit un merveilleux paysage, un site féérique, un fleuve irradié coulant...»
J.K. Huysmans - Extrait de «Turner et Goya»1889






On ne peut parler de la lumière sans parler de l'impressionnisme. Et plus précisément de Claude Monet (1840 1926). Parce que la photographie a bouleversé l'art, parce qu’elle ne peut encore traduire la couleur, Claude Monet sort de l'atelier, installe ses toiles et peint la lumière à différents moments de la journée. Il commencera plusieurs toiles pour pouvoir suivre la lumière à différentes heures; Ci-dessous on retrouve une partie de sa série des "Cathédrale de Rouen", il y en a 30 en tout. Ayant loué une chambre en face de sa façade, il a tout le loisir pour observer la lumière. Parfois froide, parfois chaude, ou bien brumeuse, la lumière donne différentes couleurs à la façade. La peinture à l'huile permet de créer des épaisseurs, et donc de véritables ombres qui viennent s'ajouter aux pigments, donnant une vibration à la toile. Plus on s'approche de la toile, plus les formes semblent devenir floues, évanescentes. Les contours se dissolvent et inversement. La forme apparaît en s'éloignant. 



b. La lumière réelle comme médium exclusif :

Certains artistes contemporains utilisent la lumière comme matériau. Ils la sculptent, la domptent et la lumière devient matière, couleur, forme, surface. 
Ci-dessous deux artistes qui se sont débarrassées de la représentation pour ne travailler qu'avec ce médium qu'est la lumière. 
James Turrell né en 1943 est issu d'une famille de quakers (communauté religieuse) qui suit les principes du culte en silence. Pour eux il y a en chaque personne quelque chose de dieu. Ils sont habités par la lumière intérieure. Ils vivent dans une forme de sobriété pour ne pas dire austérité. L'image y est peu présente. Il devient pilote d'avion et son expérience lorsqu'il pénètre les nuages est celle de l'immatérialité et du silence où l'image disparaît. Il ne reste plus que lumière. 
On comprend donc mieux l'essence même de son travail plastique. Il crée des espaces lumineux  dans lesquels on perd la notion de profondeur, de perspective. Les ombres y sont absentes ou différentes, les repères habituels sont bousculés. Une surface colorée semble plane et pleine alors qu'il s'agit d'une fenêtre  qui donne sur un autre espace. La lumière ne rayonne pas de la même manière. Elle est douce et maîtrisée. Son travail concerne deux types de lumière : celle électrique qui change notre rapport au lieu, et celle naturelle avec ses skyspaces où l'artiste propose une expérience contemplative en restant assis à observer le mouvement de la terre, la trajectoire du soleil et de la lumière dans l'espace déterminé. La couleur change en fonction et le des lumières électriques viennent colorer l'ensemble pour créer un contraste entre la partie ouverte qui devient surface plane. La perception du lieu est changée. 


Skyspace de James Turrell au centre culturel d'Austin aux USA 2013


Anne Veronica Janssens  (née en 1956) se considère comme sculptrice de lumière. Elle crée un volume (une sculpture) immatérielle qui flotte dans l'espace. (Voir l'interview ci-dessous cliquer ici ). 


III. RECONNAISSANCE ARTISTIQUE ET CULTURELLE DE LA MATERIALITE ET DE L'IMMATERIALITE DE L'OEUVRE.

1. Question de la cohérence plastique :



L'artiste Nigérien  El ANATSUI (né au Ghana  en 1944) utilise des milliers de capsules de bouteilles qu'il agrafe entre elles en un ensemble hétéroclite, et pourtant cohérent plastiquement. Ce sont des sortes de grandes tentures murales scintillantes. une équipe travaille pour lui en assemblant des parties, El Anatsui choisit ensuite la composition, l'assemblage des ces parties. Il considère son travail comme de la sculpture. Ses œuvres sont parfois exposées en extérieur, elles peuvent se dégrader avec la météo, l'altération est prise en compte par l'artiste qui se sert du soleil pour blanchir ses capsules et leur donner une patine. Son travail est associé au textile, et plus particulièrement au tissu Kenté constitué de fines bandelettes de tissu cousues ensemble. Son père et son frère étaient tisseurs de kentés. 

Détail d'une oeuvre d'El Anatsui. 

Dans l'œuvre d'ARMAN (1928 2005 ) "autoportrait Robot" de 1992, on retrouve l' accumulations chères à l'artiste : un ensemble d'objets hétérogènes personnels qui définissent son portrait. On y voit une raquette de ping-pong, une crosse de violon qui fait référence aux colères d'Arman , des pinceaux qui rappellent son métier, un téléphone, des médicaments, un masque africain, des livres, un arc, etc... Ici tout est différent mais le titre donne une cohérence à l'ensemble. "Autoportrait Robot" fait référence à une enquête où l'on décrit la personne, ici ce sont les objets qui la définissent. Cette accumulation est différente d'autres accumulations plus cohérentes comme ici.(voir lien). Dans l'œuvre "autoportrait Robot" il y a un faux désordre, les pinceaux sont placés parallèles les uns aux autres en bas à gauche tandis que les crosses de violons, arc, raquette sont placés en diagonale.  Il y a donc une cohérence plastique malgré la première impression que l'on peut avoir. Arman fait partie du Nouveau Réalisme et utilise beaucoup d'objets de récupération. Il fera en 1960 une exposition "le plein" à Paris avec des objets de rebut et des poubelles en réponse à la grande exposition du Vide de Yves Klein (nouveau-réaliste également) faite 2 ans plus tôt. 
2. Valeur artistique de la réalité concrète d'une création plastique. Présence physique de l'œuvre, sa possible immatérialité.

Mona Hatoum est une artiste libanaise d'origine palestinienne vivant à Londres (née en 1952). Elle connait la guerre au Liban et se réfugie à Londres. Tout son travail parle de cette souffrance, du danger, de l'enfermement, de l'oppression. Elle crée des objets-sculptures. En 1992 elle parle de l’incarcération avec son installation "light sentence" . A première vue rien ne se passe : on voit des casiers en grilles métalliques disposés en u. Une ampoule est accrochée au plafond au centre. Un petit moteur à peine perceptible fait descendre lentement l'ampoule jusqu'au sol. Plus la lumière descend et plus les ombres des casiers remontent le long des murs. Le spectateur comprend alors que les ombres l'enferment, l'installation devient oppressante, l'espace devient plus sombre, plus menaçant. Puis la lampe remonte tout doucement libérant le spectateur de cette vue d'enfermement. Les casiers vides semblent insignifiants au premier abord, assez froids, l'ensemble est composé d'objets domestiques d'une grande banalité et c'est la lumière qui va donner tout son sens et créer une sorte de menace, de violence visuelle. Mona Hatoum confronte matériel et immatériel en un ensemble saisissant. 





Sol LeWitt (1928 2007 USA) fait partie de l'art conceptuel : il met au point des diagrammes qui sont des indications, sorte de modes d'emplois pour créer des wall drawings. Ses peintres murales ont la particularité de ne pas être exécutées par l'artiste, mais par les assistants de l'institution ayant acquis l'œuvre. Elles sont faites de formes simples, géométriques, répétées, avec des techniques variées : encre, acrylique, pastel, crayon graphite.  Sol LeWitt communique donc une idée. Pour lui, l'idée est plus importante que sa réalisation. Le diagramme est vendu avec un certificat d'authenticité, et l'acquéreur s'engage à faire exécuter l'œuvre par une équipe. Evidemment le wall drawing va s'adapter au lieu, il va donc y avoir des modifications, des erreurs d'interprétation, mais Sol LeWitt intègre tout cela dans son concept. Le wall drawing est numéroté comme ici ci-dessous #260, il va naître, exister durant un certain temps, et disparaître pour renaître ailleurs dans un autre espace. Il va donc survivre à l'artiste, s'adapter aux lieux, et avoir plusieurs aspects différents. Ainsi il y a cette notion de matérialité et d'immatérialité. L'idée immatérielle survit à la matérialité du wall drawing. 


Wall drawing #260 au centre Pompidou Metz en 2012





Wall drawing #260 en 1975 au MOMA à New York. 

Diagramme exposé avec le wall drawing.

Une équipe exécute le wall drawing de Sol LeWitt.
autres diagrammes.


Hervé Graumann né en 1963 est un artiste numérique suisse. IL crée un programme sur ordinateur. Il s'agit d'un avatar stéréotypé d'un peintre (béret, blouse, écharpe). Le personnage s'appelle Raoul Pictor et produit des œuvres. Dans un premier temps les œuvres étaient imprimées par les spectateurs qui pouvaient repartir avec. Avec l'évolution des technologies l'œuvre est devenue une application pour téléphone. L'œuvre est devenue portable, une œuvre de poche gratuite. On peut télécharger l'application et regarder l'artiste au travail. L'œuvre est signée par Raoul Pictor, on peut même assister à son vernissage et on peut l'accrocher chez soi en réalité augmentée. Le moyen de diffusion de l'œuvre est donc internet. Le programme est aléatoire et le peintre ne produit jamais deux fois la même œuvre. L'œuvre n'est donc pas ce qui est produit, mais bien le programme. Et elle est donc immatérielle.  

photogrammes  du programme en 1993

Photogrammes en 2014



œuvre produite par Raoul Pictor (en bleu)  installée sur un mur en réalité augmentée. 

Vernissage sur le portable. 


3. Question de l'authenticité de l'œuvre :

Chez certains artistes, la question de l'authenticité de l'œuvre est questionnée. Nous avons vu plus haut le cas des ready-mades de Duchamp et plus particulièrement la fontaine signée R. Mutt. 
Ci-dessous nous verrons deux œuvres qui questionnent cette authenticité. 

Wim Delvoye est un artiste belge né en 1965. Son œuvre "Cloaca" de 2000 mélange art, science et provocation. Elle ressemble à un laboratoire, avec l'aide de scientifiques et ingénieurs il recrée un tube digestif avec des sucs pancréatiques, bactéries et enzymes, acides, le tout à une température de 37.2C. Un chef étoilé nourrit la machine deux fois par jour. La machine se met en marche, digère le repas et produit des ... excréments qui sont ensuite emballés sous vide et vendus en tant qu'œuvre d'art, marqués d'un logo reprenant la police des marques Ford et Coca-Cola. Alors on peut se poser la question : peut-on considérer cela comme de l'art ? 
Wim Delvoye va plus loin que Marcel Duchamp. Il se moque du marché de l'art et des collectionneurs qui sont prêts à acheter "de la merde". l'œuvre Cloaca a fait polémique, on l'imagine bien, mais elle fascine également. Une machine qui reproduit le fonctionnement du corps humain intéresse la communauté scientifique. Est-ce de la science alors et non de l'art ? La finalité est artistique : casser les codes de l'art contemporain, faire fit des conventions. Questionner le marché de l'art. Faire se rencontrer l'absurdité et l'inutilité avec le sérieux de la réalisation. Wim Delvoye dit que l'histoire de l'art a été faite par les gens fortunés puisque c'est eux qui ont acheté les œuvres et qui les ont mises en avant. Ici il lance une provocation irrévérencieuse envers ce marché de l'art qui ne concerne qu'une partie de la population. 


En 1961, Piero Manzoni, artiste italien  de l'arte povera avait déjà ouvert la voie vers ce genre de provocation. Après une dispute avec son père qui l'avait traité "d'artiste de merde", il décide de mettre en boite ses propres excréments en nommant les boites "merda d'artista". On pouvait être en droit de se demander s'il l'avait vraiment fait ou si c'était du bluff. Cela ne l'a pas empêché de les vendre au prix de l'or. 



Norma Jeane est un artiste ou une artiste anonyme, peut-être un collectif (dissimulé derrière le nom véritable de Marilyn Monroe). En 2011 à la biennale de Venise un bloc de pâte à modeler est proposée au public. Il doit s'en emparer et créer lui même l'œuvre. Le printemps arabe vient juste d'avoir lieu, les pays maghrébins se sont soulevés contre le pouvoir et la répression. L'œuvre s'intitule #Jan25 (#Sidibouzid, #Feb14, #Feb17...) qui sont les hashtags les plus utilisés sur twitter durant cette révolution. Le bloc tricolore rouge blanc et noir fait référence au drapeau égyptien. Le fait que le spectateur fasse œuvre signifie que le peuple en prenant son destin en main peut reconstruire le monde à sa manière. C'est donc une œuvre politique interactive où l'artiste s'efface totalement pour laisser la place au peuple. il propose au spectateur une expérience à vivre de destruction pour reconstruire. 


Le bloc au début de l'exposition

Le bloc et l'espace à la fin de l'exposition






COURS 12 : LIENS ENTRE ARTS PLASTIQUES , THEATRE, DANSE ET MUSIQUE ( 1ERE SPE)

I. LIEN ENTRE ARTS PLASTIQUES ET DANSE ► Théâtralisation de l'oeuvre et du processus de création Nous allons étudier dans cette partie d...