samedi 13 janvier 2024

COURS 5 : LA PRÉSENTATION DE L'OEUVRE (1ere SPE)

Dans ce chapitre nous allons aborder les conditions et les modalités de la présentation du travail artistique. 

I. FONCTIONS DES DISPOSITIFS TRADITIONNELS DE LA PRÉSENTATION DE L'OEUVRE

A. La problématique du cadre.


Le cadre a comme première fonction de mettre en valeur une image peinte. Il la délimite, il la sacralise en la séparant, en l'isolant du reste. Il est soit fabriqué par l'artiste lui même ou fabriqué par des artisans selon les directives de l'artiste. Durant de nombreux siècle il est considéré comme décoratif. On le voit apparaître dès l'antiquité comme l'exemple ci-dessous dans la mosaïque "le jugement de Pâris, mosaïque d'Antioche, IIe siècle, ou dans les enluminures encadrant des écrits. 

"le jugement de Pâris", mosaïque d'Antioche, IIe siècle, musée du Louvre à Paris.





Le cadre, dans un retable, devient lui même une oeuvre d'architecture ou de menuiserie, il est complexe et rappelle l'architecture des cathédrales. Il a autant d'importance que ce qu'il encadre, il est la structure de l'oeuvre. 



Au XVIe siècle, le cadre a un décor simple, fait de motifs géométriques, ils sont en bois et peuvent parfois comme ici ci-dessous participer à la composition de l'oeuvre en faisant écho aux cadres peints créant une sorte de mise en abyme. 



Il peut y avoir également un jeu avec la perception comme ici avec l'oeuvre du Père Borrell del Caso en trompe l’œil, le cadre réel n'est pas présent, en revanche celui peint est si réaliste qu'il remplace le cadre réel. 



Dans le cadre ci-dessous, nous pouvons le qualifier de baroque. Il encadre " Louis XIV" de Hyacinthe Rigaud, lui même étant peintre baroque. Le cadre est imposant, il intègre les armoiries (emblèmes des familles nobles) du roi. Le style Louis XIV est d'ailleurs donné à ce genre de cadre, on le reconnaît par la majesté et la richesse de l'ouvrage, sa symétrie, ses motifs  ornementaux comme des feuilles d'acanthe, des guirlandes de fleurs et de fruits, des coquillages, des lauriers. 


"Portrait de Louis XIV en costume de Sacre" 277x194 huile sur toile  par Hyacinthe Rigaud 1701


Mais le cadre peut être également rond. Son nom est le TONDO. L'image est circulaire. Il apparaît durant l' Antiquité, mais c'est à la Renaissance qu'il connaît son apogée. Le cercle renvoie à l'idée de perfection. Les tondos sont souvent placés au plafond. 


A la fin du 19e siècle, puis au 20e siècle, les artistes interrogent le cadre.Edgar Degas (1834-1917) n'aime pas par exemple les cadres dorés, il leur préfère le cadre blanc, plus neutre, moins chargé. 


Georges Seurat (1859-1891), qui fait partie du divisionnisme, prolonge son travail de touche pour diviser la couleur sur le cadre, le cadre devient ainsi support à son tour, extension de la peinture. La couleur se propage à l'extérieur de la toile, sur le cadre. Celui-ci est ainsi complètement intégré à l'oeuvre. Il n'est plus décoratif, il participe à cette idée de la couleur fragmentée. 


Auguste Renoir (1841 - 1919), à la même époque, en plein impressionnisme, se situe à l'opposé de Seurat ou Degas. Ses cadres sont lourds, chargés, proches du style Louis XIV.  On y retrouve les motifs de coquillages, de feuilles dorées, et de symétrie. 



Au XXe siècle, la réflexion sur le cadre se poursuit, quand il n'est pas supprimé. 

Annette Messager (1943) encadre ses photographies d'un cadre noir  par souci de cohérence. Les photographies sont nombreuses (263), elles font partie d'un ensemble, c'est une installation murale, et le cadre délimite chaque image et participe à cette cohérence plastique. Il a des tailles différentes, et peut être présenté aussi bien en mode portrait qu'en mode paysage selon la photographie. Sa forme rectangulaire fait écho à celle ronde de l'installation. 





Salvador Dali (1904-1989) surréaliste,  change la forme du cadre dans "couple avec têtes dans les nuages", ce n'est plus l'image qui donne la forme au cadre, mais l'inverse. L'image est un paysage et la forme du cadre donne l'idée du couple. Les deux cadres sont couplés et forment un ensemble. Ils sont une entité. 


René Magritte (1898, 1967) autre surréaliste, va utiliser le cadre comme idée de fenêtre. L'image est fractionnée par ce cadre, l'espace entre les cadres rentre en jeu, il complète de manière imaginaire l'image, le cadre serait comme un révélateur d'image. Sans le cadre l'image n'existe plus. le cadre ici n'est donc plus décoratif, il est d'ailleurs assez sobre. 




Dans l'oeuvre d'Esther Ferrer (née en 1937 en Espagne), "cadre qui encadre cadre, qui encadre cadre, qui encadre cadre, qui n'encadre rien" elle promeut le cadre au rang d'oeuvre d'art. Elle encadre le cadre comme le dit le titre. Son travail s'inscrit dans un minimalisme absurde, le cadre n'encadre rien, si ce n'est lui même, il y a une mise en abyme. Un espace délimité qui en délimite un autre... ou une mise en valeur d'une mise en valeur qui s'annule. Le cadre fait oeuvre. 


Dans l'oeuvre de Giulio Paolini (né en 1940 en Italie) la toile devient installation et le cadre n'existe plus. La toile est brute, multipliée, présentée à l'envers, avec une taille qui devient de plus en plus petite. La toile devient sculpture, tridimensionnelle, et s'avance à la rencontre du spectateur. 



Mais on ne peut pas parler du cadre sans évoquer le travail de Pierre et Gilles. Couple dans la vie comme au travail, ces deux artistes ont uni leur savoir faire. Pierre est photographe de formation, et Gilles est peintre. Ils vont à eux deux créer une forme d'hybridation, réunissant photographie, peinture et cadre. Leur studio photo se trouve à Paris, ils fabriquent des décors pour que les modèles (connus ou pas) puissent poser. Par la suite Gilles va repeindre par dessus la photographie pour supprimer les défauts et donner une idée de l'image lisse, artificielle, parfaite, surnaturelle. A deux ils fabriquent le cadre en fonction de la photographie. Le cadre fait donc partie de l'oeuvre, pourtant lorsqu'on voit leurs photographies sur internet ou dans les livres, le cadre est souvent supprimé, alors qu'il est un constituant plastique remarquable !

Adeptes d'un Kitsch assumé et recherché, les couleurs sont assez vives, en contraste, cela brille. 

Définition du Kitsch : caractère esthétique d’œuvres et d'objets, souvent à grande diffusion. 

Traits dominants du kitsch : inauthenticité, surcharge, cumul des matières ou des fonctions, mauvais goût et médiocrité.

Quelques exemples ci-dessous avec parfois des cadres très chargés. 








Pierre et Gilles derrière leur travail plastique encadré


B. La problématique du socle

Le pendant du cadre est le socle pour tout ce qui est tridimensionnel. 
Le socle est fait pour mettre à distance la sculpture, la surélevée, la séparer du sol, la soustraire à la trivialité. à la banalité. Il met en valeur, sacralise l'oeuvre. Il y a la notion de point de vue du spectateur qui rentre en jeu. 


On peut parler de socle, mais aussi de piédestal, ou de piédouche. 



Dès l'Antiquité, le socle est présent. Dans la "Victoire de Samothrace", la déesse Niké est posée sur un socle en forme de proue de bateau. Il ne reste plus qu'une partie aujourd'hui, mais une maquette a permis la reconstitution de l'oeuvre et de son socle. Le socle et la statue sont indissociables. Le socle met en évidence la statue, mais il est aussi sculpture, et contribue à donner du sens à l'ensemble. 


Le socle peut être très haut, pour que la sculpture puisse se voir de loin. C'est le cas dans la statue équestre d'Henri IV de François Frédéric Lemot en 1818. La sculpture peut ainsi s'extirper de la ville et être majestueuse. Le cheval a d'ailleurs la tête penchée en avant vers le spectateur qui se trouvera en contre-plongée. Le socle de style néo-classicisme, tout comme la sculpture, est sobre, il n'a que cette fonction de mettre en valeur la sculpture en bronze. 



Parfois le socle peut être un objet détourné. C'est le cas à Venise où les deux grandes colonnes de granit à l'entrée de la place Saint Marc deviennent socles. L'une soutient "Saint Théodore terrassant le dragon", saint protecteur de la ville, et l'autre soutient "Saint Marc" représenté par le lion ailé, symbole de la ville. 
Ces colonnes proviennent d'un pillage en 1127 de Constantinople par les croisés. Il y en avait trois de ramenées par la mer en bateau, mais la troisième tomba dans l'eau au moment de son transbordement sur le quai. Longtemps restées couchées, elles ne seront érigées qu'en 1172.. 







Au début du XXe siècle, Marcel Duchamp détourne également la fonction de l'objet pour qu'il devienne socle; Ci-dessous, dans "roue de bicyclette", il assemble un tabouret avec une roue de bicyclette. Le tabouret devient socle, mais également composant plastique. Sa blancheur s'oppose à la noirceur de la roue, elle fait référence également à la couleur du marbre octroyé souvent au socle. Sa stabilité s'oppose également au mouvement de la roue. C'est le premier "ready-made" de Duchamp où son intervention est minimale. 



Le socle peut également être architecture comme ci-dessous dans la statue de la Liberté à New York. 



Auguste RODIN (1840-1917) interroge le socle dans son travail. Dans son groupe de sculptures "les bourgeois de Calais" il étudie l'idée de créer un socle très haut, ou au contraire d'enlever le socle et de présenter les sculptures à même le sol pour les lier plus étroitement à la réalité et au spectateur. Mais c'est une commande, et on lui demande de faire un socle plus traditionnel. Ce groupe de sculptures a été fondu dans le bronze douze fois (on les retrouve à Londres, Calais, Copenhague, Philadelphie, Paris, Bâle, Washington, Tokyo, Pasadena, New York, Séoul, Mariemont), chacun ayant un socle de hauteur différente. 






Dans son oeuvre "La pensée" ou "la Danaïde", Rodin fait surgir du marbre sa sculpture, laissant une partie de la pierre brute avec des traces de burin. Il aborde ainsi le non-finito, il montre ainsi la matérialité du marbre brut, et celui-ci devient socle. 

Grand admirateur de l'antiquité, il est d'ailleurs collectionneur de pièces antiques qu'il intègre dans ses œuvres, il n'hésite pas à transformer une colonne antique en socle. Il détourne ainsi la fonction de l'objet architectural qu'il moule pour pouvoir le dupliquer. 

Constantin Brancusi (1876 - 1957) qui a tenté d'être l'élève de Rodin, mais qui s'en est détourné, a eu l'idée de travailler en 1926 sur le socle en tant que sculpture. Avec sa "colonne sans fin " il crée une forme  qu'il répète en module, qu'il superpose l'une sur l'autre, créant l'idée d'une colonne sans fin, dont la répétition peut être à l'infini. Chaque module est en bois et fait 70 cm de haut. L'ensemble est




Il sacre le socle oeuvre d'art à part entière. Le socle devient oeuvre. IL n'y a plus de sculpture, le socle devient la sculpture. 



Carl André (né en 1925), artiste minimaliste, va reprendre cette idée de module répété qui devient socle. Mais au lieu de superposer les formes vers la verticale, il les juxtapose à l'horizontale. Il supprime l'idée de socle, à moins que le socle devienne oeuvre unique. Le spectateur peut marcher dessus, l'oeuvre est minimale, une répétition de carrés en étain, juxtaposés. En autorisant le spectateur à marcher dessus, il désacralise l'oeuvre. Le socle n'est plus là pour son esthétisme, il n'a plus sa fonction de mettre en valeur. 


Piero Manzoni né en 1933 en Italie, artiste de l'arte povera et de l'art conceptuel, va également travailler sur l'idée du socle sculpture : dans son oeuvre "le socle du monde" ci-dessous, il conçoit la terre comme une oeuvre d'art, immense sculpture, posée sur son socle; Ce qui explique pourquoi le socle est posé à l'envers. 


Dans son travail "base magique, sculpture vivante", il invite les gens à poser sur le socle, devenant sculptures vivantes. L'artiste devient lui-même Dieu, puisqu'il crée des œuvres vivantes. 



C. SUPPORT/SURFACE.

Support-surface est un mouvement qui voit le jour en 1969. Les artistes peintres et sculpteurs, remettent en question les moyens picturaux traditionnels. "L'objet de la peinture, c'est la peinture elle-même et les tableaux exposés ne se rapportent qu'à eux-mêmes. Ils ne font point appel à un "ailleurs". 
Ainsi, une toile est composée d'un châssis en bois que le spectateur ne voit jamais, et d'une toile agrafée. Les membres de Support-Surface vont déconstruire ce schéma, certains vont travailler sur la matérialité de la toile, la rendre libre, lui rendre son existence propre, d'autres vont travailler sur l'idée du châssis en tant que sculpture. La toile ne devient plus le support d'une peinture qui représenterait une idée, elle devient elle même constituant plastique. Le bois du châssis devient sculpture, matériau comme ici dans le travail de Vincent Bioulès où le bois devient installation colorée. 







Claude Viallat, membre de Support-Surface, lui préfère travailler sur différentes toiles brutes, parfois ce sont des toiles de tentes, il répète le même motif, signe distinctif de son travail. Sa manière de présenter son oeuvre déconstruit également la présentation classique contre un mur. La toile devient matière, texture, couleur. On peut la regarder sous tous les angles comme une sculpture. 


Autres membres de Support Surface : 



Max Charvolen, artiste marseillais, travaille sur l'idée du lieu. Il pose dans un lieu (cage d'escalier par exemple) des bandes de tissus autocollantes qu'il laisse un certain temps. Puis il les décolle et les expose comme un grand patron bidimensionnel représentant un lieu tridimensionnel.  Ci-dessous on retrouve la trace de l’escalier avec ses contre marches salies par le passage des gens, les murs s’aplatissent comme on déferait un patron d'un volume en trois dimensions. 

François Rouan va peindre deux toiles qu'il va ensuite découper pour pouvoir les tresser ensemble. La troisième image crée une fusion entre les deux toiles, il peut également parfois peindre ensuite par dessus, faire des empreintes de corps, la fusion rend les images méconnaissables car certaines parties (50%) sont cachées par le tressage. 


Simon Hantaï
 va froisser sa toile, faire passer un rouleau par dessus, la peindre froissée et la détendre. Les plis vont révéler des parties brutes, créant une alternances de couleur et de vide. Ses toiles tendues par la suite gardent la trace de ces pliages par la couleur, la notion de hasard constitue l'oeuvre. Il donne une certaine matérialité à la toile, au support. 


II. LA SOLLICITATION DU SPECTATEUR

A. Accentuation de la perception sensible de l'oeuvre, mobilisation des sens, du corps du spectateur



Carsten Höller (né en 1961 à Bruxelles), artiste Allemand, a suivi une formation d'entomologiste. Ses expérimentations scientifiques sont appliquées à l'humain dans ses projets artistiques qui allient parfaitement biologie et art. Son travail ne cherche pas l'esthétisme, ses installations ressemblent à de grands laboratoires où l'humain devient le cobaye. Il propose ainsi au spectateur une expérience où la perception est sollicitée. 

Ci-dessous, dans "Psycho Tank", il propose un caisson dans lequel le spectateur peut rentrer. Une douche, serviettes et sorties de bain sont prévues. L'eau est très salée, la température est à 35.5 degrés, il y a 1000 litres d'eau.  Le corps se met alors à flotter, et une sensation de relaxation absolue se fait sentir. Les sons sont arrêtés, le temps semble suspendu, le spectateur est comme isolé du monde. Le spectateur peut rester 15 minutes. 

Pour ce projet Höller s' inspire d'expériences militaires d'isolement sensoriel. Le caisson translucide permet à la lumière du jour de passer sans qu'on puisse voir à travers. Le spectateur doit rentrer entièrement nu





vue de l'intérieur du caisson.




Dans "double Carrousel à rayures Zöllner" en 2012, il achète deux vieux manèges qu'il détourne de leur fonction. Il modifie leur vitesse, le rythme est très lent, la direction est différente, la vitesse lente permet au spectateur de monter et descendre à sa guise, et l'environnement est  modifié par les rayures qui créent des illusions d'optique. la perception du spectateur est alors changée, le déstabilisant. 




Felix Gonzalez-Torres (1957 -1996), artiste américain mort du sida, conçoit une oeuvre minimaliste et conceptuelle "sans titre (portrait de Ross à Los Angeles)" en 1991. Ross était son partenaire, mort également du Sida. Son installation est un gros tas de bonbons que le spectateur peut manger. Les bonbons représentent le corps de Ross, sa disparition lente évoque la maladie et la mort. 80 kg de bonbons équivalent au poids de Ross en parfaite santé. Ainsi l'oeuvre diminue, jusqu'à sa disparition et l'artiste a mis en place un protocole. Le lieu d'exposition s'engage à remettre 80kg de bonbons une fois le premier tas disparu. Ainsi l'oeuvre n'est pas le tas de bonbons mais bien le concept. C'est le protocole qui est vendu, et non le tas de bonbons.  L'oeuvre devient vivante, elle naît, vit, meurt, avant de connaître une nouvelle vie. Le bonbon est acidulé, sucré,  et lui rappelle de doux souvenirs avec Ross. C'est une manière pour lui de garder vivant l'image de Ross, de le rendre immortel.  C'est donc une oeuvre participative. 





Avec son tas de bonbons " Untitled (Public opinion") en 1991, il met à disposition 317 kg de réglisse en forme de missile, enveloppés dans du cellophane. l'oeuvre est imaginée en pleine guerre du Golfe. le bonbon, une fois mangé, laisse la bouche noire. Il veut ainsi sensibiliser le spectateur et remet en question la légitimité de l'opinion publique des USA et l' implique directement. 
Pour la petite histoire, pour cette oeuvre un musée qui avait acquis le certificat (le concept) a eu du mal à retrouver les mêmes bonbons pour les remplacer, avec le même goût et la même forme. Le certificat vendu de cette oeuvre, son protocole, n'a pu être respecté à la lettre, le commissaire d'exposition a du trouver une solution pour retrouver au moins un bonbon qui noircit la bouche, le goût et la forme étaient différents. 



Christian Boltanski (1944 -2021), dans son installation "Personnes" de 2010 au Grand Palais à Paris dans le cadre de "Monumenta", le spectateur est au cœur de l'oeuvre. L'artiste choisit l'hiver pour installer son oeuvre dans ce grand espace non  chauffé pour le mettre en condition. Lorsqu'on arrive, un grand mur de boîtes rouillées accueille le visiteur et coupe la vue, séparant l'espace d'exposition avec la ville et ses bruits. Elles évoquent le passé, les urnes funéraires, l'intimité.  En le contournant le spectateur découvre des vêtements posés au sol de manière géométrique délimités par des poteaux métalliques avec des hauts parleurs diffusant le bruit de battements de coeur. Au fond un énorme tas de vêtements domine l'ensemble, une grue avec une grosse pince rouge vient piocher dedans, soulevant des vêtements vides qu'elle lâche par la suite avant de replonger dans le tas. Ces vêtements qui volent, vides, évoquent la mort, les charniers. Boltanski qui a des origines juives parle de la Shoah, de l'extermination des juifs durant la seconde guerre mondiale, de ces anonymes disparus. Il évoque une mémoire collective, et chaque spectateur, dans le grand froid de l'hiver, ne peut être que touché. 
les battements de cœur sont assourdissants et se mêlent avec les grincements de la pince qui agressent l'oreille. L'oeuvre est immersive. 
Tout au fond de l'espace, une salle d'enregistrement est destinée au spectateur qui désire faire enregistrer les battements de son cœur. Boltanski fait une collecte des battements de cœur de l'humanité (traces d'une vie)  dont les enregistrements sont aujourd'hui mis à disposition sur une île au  Japon. 









Ernesto NETO né en 1964, artiste brésilien, crée des sculptures/installations organiques qui prennent en compte le corps du spectateur. Elles se touchent, se sentent, s'expérimentent.  Dans "la vie est un corps dont nous faisons partie" de 2012, la sculpture est suspendue au plafond et est réalisée à la main avec la technique du crochet. Elle symbolise la vie comme la conçoit l'artiste : divisée en deux parties masculine (couloir suspendu) et féminine (plateau en hauteur) , la pièce reproduit la fécondation, le moment où le spermatozoïde (le spectateur) féconde un ovule (le plateau). Neto travaille avec des matériaux et techniques habituellement réservés aux activités attribuées à la femme. Le spectateur en marchant sur l'oeuvre se voit déstabilisé, éprouver le vertige. il remet en cause notre manière de nous déplacer. Seulement 8 personnes peuvent y accéder en même temps. 


Certaines de ses sculptures sont odorantes. Ses œuvres se sentent avant qu'on ne les voie. Dans "tandis que rien ne se passe" il fait des sculptures avec du poivre, curcuma, gingembre et clou de girofle. Ainsi une dimension sensorielle supplémentaire est donnée. 











Un autre artiste brésilien Cildo MEIRELES né en 1948 a crée une installation qui est visible sur l’île de Porquerolles dans les jardins de la fondation Carmignac. Il s'agit d'un espace divisé en deux, un premier sas d'entrée permet au spectateur de pénétrer pied nu et masqué dans l'oeuvre et de s'isoler de l'extérieur, puis une porte permet de rentrer dans le noir total. Les pieds s'enfoncent dans une grande quantité de talc dans une obscurité qui déstabilise; Les sens sont concentrés sur ce contact direct avec les pieds, jusqu'alors inconnu. Une certaine peur de ne pas trop savoir où l'on se situe est présente. La salle est en "u", lorsqu'on contourne le mur, une petite bougie donne un repère visible mais faible. On perd complètement l'orientation. la sensation douce du talc sous la plante des pieds est omniprésente. On comprend l'utilité du masque qui permet de ne pas respirer le talc volatile. Avec cette installation il parle de résistance à l''oppression politique brésilienne, c'est une oeuvre politique qui parle de sensation de danger, où il est difficile d'avancer sans savoir où l'on se trouve, et où la crainte se mélange au goût de l'aventure, de l'exploration. 








Depuis le 18e siècle , il existe des dispositifs qui permettent au spectateur d'être immergé dans un décor. Les panoramas sont des rotondes, de grandes architectures qui accueillent le public en son sein, lui permettant d'observer de grandes peintures en 360° de très grandes dimensions donnant l'illusion de la réalité. L'immersion est donnée par un éclairage particulier, un faux terrain au premier plan. Le spectateur entrait par un tunnel plongé dans l'obscurité débouchant  au milieu d'une peinture circulaire. 

Plus tard, le maréorama permettait d'avoir l'illusion d'un voyage en mer : toiles peintes mobiles, plateforme en mouvement activée grâce à un mécanisme ingénieux, tout est fait pour donner l'impression d'être sur un bateau. 




Au XXe siècle est inventé le Cinérama, procédé de projection cinématographique sur un très grand écran, le son était diffusé sur plusieurs canaux enveloppant le spectateur. 


Aujourd'hui il existe l'Omnimax inventé en 1972, projeté sur un écran hémisphérique , le spectateur est cerné par l'image et a l'impression d'y être à l'intérieur. 

III. DISPOSITIFS FAVORISANT L'INTERACTION AVEC L'OEUVRE, LA PARTICIPATION  A LA RÉALISATION

Les artistes sont allés encore plus loin dans la réflexion au XXe siècle : en plus de faire participer le spectateur, comment peut-on les solliciter pour participer à la création de l'oeuvre, comment le faire passer de participant à créateur ? Comment le rendre co-auteur ? 

JR (né en 1983 à Paris) est un artiste qui est très attaché au multiculturalisme, il se définit d'ailleurs "artiviste urbain" car toutes ses actions sont sociales. 
Avec son installation à Marseille "Amor Fati" (amour du destin en latin) en 2018 au J1 (bâtiment emblématique de Marseille construit en 1923 par la société Eiffel à la Joliette servant de hangar pour les activités portuaires), JR propose au spectateur de lui raconter une histoire de migration. 


Affiche de l'expositon AMOR FATI

Hangar J1 à Marseille.

Lorsque le spectateur rentre dans l'installation, il passe par un photomaton qui lui photographie les yeux uniquement. Les yeux sont imprimés sur une feuille et un atelier propose au spectateur de faire ou d'apprendre à faire un bateau avec son papier. Les yeux sont ainsi apparents sur l'origami. 
Dans un second temps il est invité à rentrer dans un espace plus grand où un grand bassin est installé avec des passerelles qui permettent de se promener au dessus du bassin. L'espace est assez sombre, le spectateur met à l'eau son bateau, des courants permettent au bateau d'avancer. Certains vont traverser le bassin, d'autres vont couler. Le spectateur peut le suivre grâce aux passerelles. 


Bateau en origami

Passerelles dans l'installation permettant de voir le bassin en hauteur. 

Le spectateur est non seulement acteur mais il crée son bateau avec la photographie de ses yeux. Le lieu est un lieu de migrations où les gens partaient et revenaient du Maghreb, le voyage en bateau en origami  fait écho avec l'histoire du lieu. 
L'oeuvre est participative, immersive,  le spectateur co-auteur car l'oeuvre ne peut vivre sans sa participation. 


John Baldessari ( 1931-2020 américain)  utilise le spectateur comme moteur, ou plutôt comme déclencheur de son oeuvre. Il propose une grosse sculpture d'une oreille avec un sonotone. Son oeuvre " Beethoven's Trumpet" de 2007 rappelle la surdité du grand compositeur. Le spectateur peut passer à côté de l'oeuvre sans connaître son secret : il faut se pencher dans le sonotone et parler pour que "le dernier quatuor à corde de Beethoven" se déclenche et une musique envahit la salle. 




 


► Pour finir nous regarderons le travail "Sonopticon" de artistes Jean-Robert Sedano (né à Roan en 1956), Solveig de Ory (née au Pérou en 1957)   et Pierre Leloup (1955 - 2010 Savoie) qui sont des artistes multimédias réalisant des installations sonores et visuelles interactives. Ils travaillent ensemble depuis 1970 et placent le public au cœur de leurs création.
"Sonopticon" est une installation faite d'un ensemble de sons et d’images directement liés aux mouvements des spectateurs. Grâce à un ensemble de capteurs photo-électriques placés au ras du sol et reliés à des synthétiseurs, l'espace s'anime dès qu'une personne entre. Les images sont projetées, elles se superposent, des sons sont déclenchés. C'est une invitation à une exploration ludique de l'oeuvre transdisciplinaire reliant arts plastiques, musique, nouvelles technologies et créativité participative. Il y a une part d'imprévu, de hasard car on ne peut prévoir l'action du spectateur. Ce dernier devient performeur. Il fait partie de l'oeuvre, il est co-auteur. 



Plusieurs versions de "sonopticon" existent :


Dessin préparatoire de Sonopticon 3



 

Système sonore photo-électrique
Cylindres blancs (écrans) suspendus
Projections de diapositives
SONOPTICON 2

Dans la salle:
4 rampes de cinq cellules photo-électriques
4 projecteurs 500W
4 HP minimum 25W
4 carrousels
2 synchronisateurs
 
320 diapositives
Cylindres blancs tous diamètres et toutes dimensions (p.v.c ou carton)

A la régie:

1 synthétiseur, 1 magnétophone (retard), 1 bande longue durée, 1 magnétophone (topage), 1 boucle,
2 amplis (stéréo)

Dans la salle, des cylindres blancs de dimensions variables, suspendus de façon plus ou moins aléatoire ( en fonction de l'emplacement des carrousels et de l'espace disponible ) formeront les écrans pour le passage des diapositives. Un seul
cylindre pourra donc recevoir une ou plusieurs images sur une ou plusieurs faces.
Les diapositives sont des photographies gardées intactes ou modifiées pour un impact visuel maximum. Elles sont également réparties sur des carrousels qui se déclenchent par groupe de deux au signal sonore des cellules photo-électriques.

Le visiteur est donc en relation avec un ou plusieurs sons et un groupe d' images. ll commande à la fois le son et l' image. Il a la possibilité de créer des combinaisons innombrables et d'entrer en contact avec les autres visiteurs sous la forme du jeu.

Les enceintes acoustiques sont placées aux extrémités de la salle. (extrait du site : 
http://www.ludicart.com/historique/Sonopticon/Sonopticon.html )



 Système sonore photo-électrique
Signalisation au sol, parcours fléché
Ecrans photo-sensibles





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