dimanche 21 janvier 2024

COURS 5 (2023) : L’IDÉE, LA RÉALISATION ET LE TRAVAIL DE L'OEUVRE ( TERMINALE SPÉ)

I. Projet de l'oeuvre : modalités et moyens. Du passage du projet à la production artistique. 

Dans ce chapitre nous allons aborder l'idée de projet qui va déboucher vers la réalisation d'une oeuvre monumentale. 

Les Nymphéas de Claude Monet (1840-1926) au Musée de l'Orangerie à Paris
et plus particulièrement : Cycle des Nymphéas du musée de l'Orangerie, entre 1897 et 1926, huile sur toile, H. : 1,97 m, L. : environ 100 m linéaire, surface environ 200 m 2. Paris, musée de l'Orangerie ;

Salle 1 de l'Orangerie Paris Les Nymphéas de Claude Monet.




Le cycle des  Nymphéas de Claude Monet est un travail gigantesque, longuement médité, mûri, installé par la suite dans une architecture spécialement conçue pour lui, dans l'Orangerie des Tuileries à Paris qui n'a été ouvert au public qu'après sa mort selon sa volonté. 

"L'Orangerie abrite 8 compositions de même hauteur (2 m) mais de largeurs différentes, réparties sur les parois arrondies de deux salles ovales. L'ensemble, une des plus vastes réalisations monumentales de la peinture de la première moitié du siècle, représente une surface d'environ 200 m2. Les dimensions mêmes de la surface couverte et cette disposition qui environne, qui encercle, en quelque sorte, le visiteur fasciné dans le brouillard coloré, surprennent moins aujourd'hui, l'environnement faisant partie des moyens d'expression de l'artiste du XXe siècle."
(extraits des propos de Michel Hoog "les Nymphéas de Claude Monet")



Les Nymphéas salle 1



Les Nymphéas salle 2


Monet prendra la décision en 1918 à la fin de la première guerre mondiale de donner à l'Etat deux panneaux. 
"Cher et grand ami,
je suis à la veille de terminer deux panneaux décoratifs que je veux signer le jour de la Victoire, et viens vous demander de les offrir à l'Etat par votre intermédiaire. 
C'est peu de chose, mais c'est la seule manière que j'ai de prendre part à la Victoire. Je désire que ces deux panneaux soient placés au Musée des Arts Décoratifs et serais heureux qu'ils soient choisis par vous. 
Je vous admire et vous embrasse de tout mon cœur. Claude Monet. " Lettre à Georges Clemenceau le 12 novembre 1918

Finalement, Clemenceau convaincra Monet de ne pas donner deux panneaux mais 8 compositions en 22 panneaux qui seront  installés après sa mort.


► Pour comprendre la genèse de ce projet de Monet, il faut remonter à la création de ses jardins à Giverny. 

Monet durant toute sa vie ne s'est jamais beaucoup éloigné de la Seine auprès de laquelle il se sent bien. En 1883, il loue une maison à Giverny (il a 43 ans)  au moment où tous ses confrères impressionnistes et amis s'éloignent de Paris : Renoir part dans le Midi, Sisley à Moret, Cézanne retourne à Aix en Provence. En 1890, il finit par acheter cette propriété, sa situation financière est devenue plus confortable, c'est l'époque où il peint la série des meules qu'il trouve autour du village, et travaille également dans son jardin. Il l'agrandit, achète du terrain pour l'étendre, creuse des bassins pour y installer des nénuphars dans l'intention de trouver des motifs à peindre. 

Plan de la propriété à Giverny avec les jardins. 

Monet va y passer plus de 40 ans de sa vie et va construire en 1914 un vaste atelier spécialement pour peindre les grands nymphéas dont il a commencé le cycle en 1897. 
Le cycle des Nymphéas comprend plus de 300 tableaux dont plus de 40 panneaux de grands formats et trois tapisseries sont tissées également. 

Deux types de compositions sont définies par l'artiste dès le départ :
- L'une englobe les rives du bassin et leur végétation touffue (bassins aux nymphéas de 1899 -1900, puis ponts japonais).
- L' autre joue sur le vide, de gros plans au cadrage serré ne représentant que l'eau et sa ponctuation de fleurs et de reflets en all-over. (paysages d'eau 1903-1908)

Le bassin aux Nymphéas : harmonie verte 1999 huile sur toile 89.5x92.5


Nymphéas 1907 huile sur toile 81.1x92.1 


Dès 1870, bien avant les Nymphéas, Monet représente à plusieurs reprises les mêmes sites en ne faisant varier que la lumière. L'idée de série apparaît. Il commence plusieurs toiles en même temps, afin de suivre l'évolution du soleil dans le temps et le changement de couleurs.

"On chargeait des brouettes... d'un amas d'ustensiles, pour l'installation d'une suite d'ateliers en plein air, et les chevalets s'alignaient sur l'herbe pour s'offrir aux combats de Monet et du soleil. C'était une idée bien simple qui n'avait encore tenté aucun des lus grands peintres. Monet peut en revendiquer l'honneur." Georges Clemenceau.

Dès les 1eres représentations des Nymphéas, Monet cherche à rompre avec les formats habituels en utilisant le format carré très peu répandu à l'époque dans la pratique impressionniste.

Après avoir décidé de faire une donation à l'Etat, Claude Monet imagine avec un architecte la construction d'une rotonde avec une grande verrière éclairant la salle par le toit, dans le jardin du Musée Rodin l'hôtel de  Biron pour accueillir son oeuvre. 

Jean Villemer écrira " Il veut un pavillon spécial dans le jardin de l'hôtel de Biron, une salle ronde où ses toiles seront posées au ras du sol et se suivront sans la moindre séparation, en sorte que le spectateur placé au centre de cette salle pourra se croire dans l'île du lac japonais et verra autour de lui ce qu'il verrait dans le jardin de Giverny.(Le Gaulaois 16 octobre 1920)

Mais ce projet ne se fera pas, une autre solution lui sera proposée  : l'administration des Beaux-Arts décide d'affecter la salle du Jeu de Paume et celle de l'Orangerie au Musées  Nationaux, cette dernière est retenue pour accueillir les Nymphéas. 

Plusieurs fois devant ce grand projet, Monet se sentira découragé face à l'épreuve de la cataracte et aux échanges administratifs. Il détruisit un grand nombre de peintures. Ses Nymphéas montrent toute la poésie de l'eau, depuis l'aube jusqu'au crépuscule. 

Claude Monet dans son atelier à Giverny devant les nymphéas.


Claude Monet dans son atelier à Giverny devant les nymphéas.



Les 8 compositions  concaves à l'Orangerie sont réparties en 2 salles. l'ensemble pour l'époque est insolite. On a un sentiment de dépaysement, ce n'est ni un musée exposant une série de tableaux, ni une architecture avec une décoration murale, c'est un environnement coloré situé à la hauteur de l’œil occupant le champ visuel. Monet s'inspire de l'art japonais. Les peintures ne comportent pas de détails lisibles, rien n'accroche l’œil, tout est en all-over. La gamme colorée est peu variée et homogène, dominée par les bleus violacés et les verts, les nénuphars n’apparaissent qu'à certains endroits, la représentation se dérobe, Monet flirte avec l'abstraction, supprime la profondeur.

Claude Monet abandonne la réalité, la simple traduction des apparences pour une réalité plus profonde telle qu'elle apparaît dans la profusion de lumière, d'eau et de végétation. C'est une quête de l'impalpable, de ce qui est changeant dans le monde visible : la lumière. Ce caractère novateur dans l'abandon de la lisibilité  n'est pas toujours compris par le public attaché à la représentation. L'ouverture au public de l'Orangerie après sa mort n'a d'ailleurs pas eu un succès foudroyant tout de suite. L'absence de ligne d'horizon, l'effet miroir de la surface de l'eau font perdre les repères au spectateur. La peinture est épaisse, les traces de pinceaux sont visibles plus que ce qu'elles représentent, on reconnaît ici et là des troncs, des branches, quelques fleurs, mais le reste devient matière, plongeant le spectateur dans la couleur. 
Le toit percé laisse passer le jour, éclairant selon le moment de la journée ou de la saison différemment, les Nymphéas prennent d'autres couleurs. 

Les Nymphéas à l'Orangerie à Paris. Eclairage zénithal.


Monet lutte avec sa vision altérée par la cataracte. Il a perdu la vision d'un œil, et se fait opérer de l'autre, ce qui lui change sa perception des couleurs; Il est souvent découragé, ayant le sentiment d’abîmer ses toiles. Une amélioration de sa vue lui permettra d'achever le projet sous la pression de Clemenceau. Mais cette vision altérée lui ouvre une nouvelle voie vers une dissolution progressive des détails, donnant une dimension plus abstraite et lyrique à son travail.  La série des Nymphéas témoigne au fil du temps d'une perte (qui sera vivement critiquée par ses pairs) mais aussi d'un profit ouvrant la voie à la nouvelle génération. 
Monet libère la couleur et la lumière du carcan formel, explorant tous les éclairages naturels possibles de ses bassins, le format immense de ses dernières toiles immerge le spectateur dans la couleur, sa technique du all-over sera reprise par les artistes de l'expressionnisme abstrait comme Jackson Pollock. 

- 8 panneaux concaves de 6 à 17 mètres de long.
- 200 m2 de surface peintre. 
- Conception en cercle conçue par l'artiste pour plonger le visiteur dans une méditation paisible. 


Les nymphéas soleil couchant de la salle 1

¨Plan des deux salles du musée de l'Orangerie.







Claude Monet (1840-1926)Le bassin aux nymphéas – 1917-20 – Huile sur toile –
 Panneau 1: 200,6 x 300,7 cm, panneau 2: 200,7 x 300,9 cm, 
panneau 3: 200,7 x 301 cm – Fondation Beyeler, Bâle


Détail du bassin au nymphéas ci dessus. Technique du all-over


Visite virtuelle de l'Orangerie ICI 


L'Orangerie sera endommagée en 1944 durant la seconde guerre mondiale, un obus dégrada la salle des Nymphéas ainsi qu'un des panneaux qui sera vite restauré.

II. Œuvre comme projet : dépassement du prévu et du connu. 
Dans ce chapitre nous verrons le devenir du projet artistique : les questions de l'inachèvement, de la transformation, du réemploi, de l'accident, de l'altération et et de la recréation seront abordées à travers 3 grandes œuvres : "la Porte de l'Enfer" d'Auguste Rodin, "The Valley Curtain" des Christo et "sans titre" de Barbara Kruger. 

►Auguste Rodin (1840-1917) a travaillé durant toute sa carrière de sculpteur sur un vaste projet : la Porte de l'Enfer. Il y a travaillé durant 38 ans, en créant plus de 200 figures.
Le projet naît en 1880 avec une commande publique d'une porte sur le thème de l'Enfer de Dante(poète italien du XIVe siècle auteur de la Divine Comédie)  pour décorer la façade du futur musée d'Arts décoratifs de Paris qui finalement ne verra jamais le jour. 

Pour commencer le projet il va faire 3 maquettes pour trouver la structure qui lui convient. Sa porte est une réponse à la porte du Paradis de Lorenzo Ghiberti du Baptistère de Florence en Italie. Il s'inspire de la structure en caisson mais qu'il finira par laisser tomber par la suite. 

Rodin, en s'engageant dans ce projet, ne se doutait pas qu'il le poursuivrait jusqu'à sa mort. 

La porte du Paradis de Lorenzo Ghiberti 
réalisée entre 1425 et 1452
 











Cette porte qui n'en sera plus une puisqu'il n'y a aucun mécanisme d'ouverture, il la pense, il y travaille, il la dessine, son objectif n'est plus de représenter la divine comédie de Dante, mais cette immense sculpture devient le laboratoire de sa pensée et le réservoir de formes et d'expérimentation technique. Il réduit le nombre de panneaux Les figures qu'il crée pour la porte seront réutilisées de manière autonome ou assemblées à d'autres pour faire naître de nouvelles formes. Par exemple le célèbre "penseur" fut d'abord conçu pour être situé au centre du tympan de la Porte de l'Enfer comme étant sans doute Minos le juge des enfers dans la Divine Comédie. Pourtant, une fois que cette sculpture fut considérée comme autonome, décontextualisée, elle devint "le Penseur" à la fin des années 1880. C'est dans sa version bien plus grande qu'elle devint l'icône que nous connaissons tous. 








Même chose pour les "trois ombres" qui couronnent la Porte de l'Enfer. Dans la Divine Comédie, il est question de trois âmes de damnés qui se tiennent à l'entrée des Enfers. Rodin en fit plusieurs études et finit par assembler trois tirages identiques d'une sculpture précédente "Adam". Comme Adam, les trois ombres reprennent la pose douloureuse, déformée. Les trois ombres ont également été agrandies pour devenir un groupe monumental autonome. 



Ainsi retrouve t-on des études de faunesses, de figures qu'il va ajouter au bas-relief de la porte, ces sculptures sont intégrées à la porte mais vont servir également à créer de nouvelles sculptures autonomes détachées de la porte assemblées avec d'autres. 


Ce projet immense lui prend du temps, il va chercher à l'achever à plusieurs reprises sans y parvenir, il espère l'exposer à l'exposition universelle de 1889 à Paris, mais en vain, puis finira par l'exposer inachevée en 1900 lors de sa grande exposition personnelle . 

En 1907, Rodin imagine  une version presque achevée alliant marbre et bronze mais qui n'aboutit pas. 

Ce n'est qu'en 1917 juste un peu avant son décès que Léonce Bénédite (historien de l'art)proche de Rodin, obtient du sculpteur l'autorisation de reconstituer la Porte de l' Enfer pour qu'elle soit faite en bronze. Rodin n'aura pas le temps de voir le résultat. 

Après sa mort, 8 autres épreuves ont été tirées en bronze. 







Ainsi on peut dire que "la porte de l'Enfer" de Rodin a été l'oeuvre de sa vie, son grand projet. Ce projet a évolué, a grandi avec le temps, est devenu titanesque, ce qui explique ses difficultés à le clôturer. Il aura fallu une aide extérieure pour le mettre en forme et l'achever. La sculpture est un ensemble d’œuvres dans l'oeuvre.  Un ensemble en  perpétuelle transformation. 


Christo et Jeanne Claude (1935-2020 et 1935- 2009) conçoivent en 1970 le projet " Valley Curtain" (rideau de la Vallée) à Riffle dans le Colorado qu'ils réalisent en 1972. Il s'agit d'un rideau de nylon orange monumental ( 12780 m2) tendu entre deux flancs de montagne. Il est haut de 111 mètres sur les côtés et de 55 mètres au centre. il est maintenu par des câbles pesant 50 tonnes. 28 mois de préparation ont été nécessaires. Des dessins du projet sont faits par Christo, leur vente finance le projet et donne aux deux artistes toute autonomie. 

Christo
Valley Curtain (Project for Colorado)
Collage 1970
Pencil, charcoal, crayon, enamel paint, fabric and staples
28 x 22" (71 x 56 cm)

Christo
Valley Curtain (Project for Colorado)
Collage 1971
Pencil, fabric, wax crayon, topographic map and tape
28 x 22" (71 x 56 cm)

Christo
Valley Curtain (Project for Colorado)
Drawing 1971
Pencil and charcoal
28 x 22" (71 x 56 cm)

Christo
Valley Curtain (Project for Colorado)
Collage 1971
Pencil, fabric, wax crayon, hand-drawn technical data, fabric sample, tape and staples
28 x 22" (71 x 56 cm)



 Il est réalisé le 10 août 1972 avec toute une équipe, mais après un jour d'exposition, un fort vent se lève (100km/h) arrachant une partie du rideau, contraignant le décrochage au bout de 28h. Même si cela peut s'apparenter à un échec, il n'en est rien. Pour les Christo, l'essentiel est de l'avoir réalisé. Qu'il dure 1 jour ou 1 semaine, le projet a vu le jour et reste gravé dans les mémoires. Les photographies ainsi que les vidéos en sont les témoins et portent à la postérité l'idée. Il y a bien la notion d'accident, d'imprévu, mais les Christo vont au-delà de ce fait. Le rideau n'est plus, mais il a été et c'est ce qui compte. 

Le rideau sépare la vallée en deux. Véritable écran orange, il agit comme un signal gigantesque. Il modifie de manière provisoire le paysage. Les tensions des câbles avec le rideau accroché au sol relient les deux flancs de montagne, comme pour les rapprocher. Dans cette tension se situe une forte énergie renforcée par la couleur orange, non naturelle. Le rideau semble boucher la vallée, bien qu'on puisse y passer dessous. La toile, fine, rivalise avec les montagnes lourdes. Les Christo créent un contraste au niveau de la couleur mais aussi de la matière. Ils utilisent la nature, le lieu comme support pour le modifier en y intervenant de manière éphémère. C'est un travail in situ, qui s'implante dans le lieu. Mais ce rideau ne modifiera pas seulement l'aspect du lieu, il en modifiera la circulation de l'air, les phénomènes climatiques qui reprendront alors le dessus. 

Peut-on parler d'altération de l'œuvre avec cet arrachage par le vent ? Oui et non. Ce qui reste de l'œuvre est le souvenir de ce majestueux rideau barrant le chemin. D'ailleurs on ne trouve aucune photographie, aucun document sur ce moment où le rideau est arraché par le vent. Le souvenir devient alors inaltérable. 

 
Jeanne-Claude et Christo  chantier de "valley curtain" 1972 mise en place. 

Christo and Jeanne-Claude
Valley Curtain, Rifle, Colorado, 1970-72

Christo and Jeanne-Claude
Valley Curtain, Rifle, Colorado, 1970-72





ci-dessous vous pouvez voir le chantier de Valley Curtain. Dans la première vidéo vous verrez le projet avec les dessins préparatoires, dans la seconde vidéo vous verrez le rideau se déployer. 





►Barbara Kruger (1945 aux USA ) étudie durant un an à l'université de Syracuse pour développer un intérêt pour le design graphique, la poésie et l'écriture. Elle va suivre par la suite une formation de graphiste publicitaire. Elle travaillera d'ailleurs comme graphiste pour des revues comme "Mademoiselle" ou Vogue"'. 
Par la suite elle va détourner l'image publicitaire  sur des sujets de société de consommation et utiliser un vocabulaire plastique avec des couleurs limitées : rouge, blanc, noir. Ses textes sont courts et agressifs comme des slogans marquants. Elle est consciente qu'ils influencent le spectateur dans la vie de tous les jours, utilisés par les publicités et met en lumière ce pouvoir du langage. Bien que son travail soit politique et engagé, elle ne se considère pas comme militante. 
Ainsi met-elle en scène image et langage pour dénoncer les manipulations des médias et de la publicité. 

En 1984 elle utilise le slogan "don't be a jerk" (ne sois pas un imbécile)  superposé à une photographie de foule prise dans un magazine. Cette foule est dirigée vers la droite. L'image est saturée et en noir et blanc, et le message blanc sur  fond rouge s'adresse au public. L'image est monumentale, elle mesure 230x338.5 cm, elle renforce l'idée d'une masse anonyme influencée, contrôlée. 


La photographie de  "Don't be a jerk" sera reprise comme image de fond pour l'oeuvre ci-après "untitled" de 1994-1995 puis plus tard dans celle de 2013-2014. Elle sera également reprise en 1996 à Melbourne en Australie sur des panneaux lumineux de la ville et le slogan, quant à lui sera repris à la demande du MOMA (musée d'art moderne de New York) dans les espaces publicitaires des bus New-Yorkais pour interpeller les passants avec un énorme œil. 


"Don't be a jerk" 1996 Melbourne, panneau lumineux.


"Don't be a jerk " 1996 44.5x127 cm


  

Dans l'oeuvre de Barbara Kruger  "Untitled "(Sans titre), 1994-95, 2013-2014 dont les dimensions sont  variables, nous sommes face à une installation de sérigraphies photographiques sur papier à Cologne, au museum Ludwig qui a eu lieu une première fois en 1994-1995 et une seconde fois en 2013-2014.  Son travail allie images photographiques immenses en noir et blanc avec des textes en gros caractères rouges faisant référence aux stratégies publicitaires. 
Les photographies sont pour la plupart de très gros plans serrés sur des visages ou parties de visages qui mettent le spectateur mal à l'aise. 
Les slogans sont "croyez comme nous" "combattez comme nous" "rire comme nous" "déteste comme nous" ... et l'ensemble est assez agressif. Ils s'adressent au spectateur. Au sol également on peut lire 
" Qui écrira l'histoire des larmes ?
Est-ce un compagnon parfait pour tout le monde ?
Est-ce l'idéalisme aveugle réactionnaire ?
Pourquoi Dieu ne détruit-il pas Satan ?
A quand remonte la dernière fois que tu as ri ?"

En hauteur des messages en Allemand (installation en Allemagne à Cologne) on peut lire : "mon dieu est meilleur que ton dieu, sage, plus puissant, dieu seul, ce que tu détestes mérite d'être détesté...

Au plafond trois traverses avec ces phrases : " Ne rien savoir " "croire n'importe quoi " " Oublie tout"

L'installation est donc saturée, où que l’œil se pose il y a une phrase à lire. 

un enregistreur est mis à disposition du public pour écouter des discours de haine qui plaisent à une foule applaudissant, une photo en noir et blanc montre un aimant qui attire une multitude de clous, symbolisant la foule attirée, influencée par des discours. 
L'installation parle de lavage de cerveau, de la puissance des mots, de leur pouvoir dictatorial et manipulateur. 

« Mon but est de provoquer des questions concernant le pouvoir et ses effets sur la condition humaine : mais aussi d'étudier la manière dont le pouvoir est construit, utilisé et abusé …/... Mais je suis juste une artiste qui travaille avec des images et des mots » Barbara Kruger



1ere version : 
Ci-dessous la première version de l'installation en 1994 1995 à Cologne, cette première version se trouve dans une salle différente du musée de la deuxième version. Le sol n'est pas recouvert de phrases, le plafond est en anglais et les slogans sont différents. Les slogans en allemand apparaîtront dans la deuxième version. Les photographies sont les mêmes, l'arrière plan avec la foule aussi, mais il n'y a pas les enceintes qui diffusent les textes. L'installation est plus sombre. La salle est moins grande. 


1ere version de "sans titre" 1994 1995 Cologne.

1ere version de "sans titre" 1994 1995  Cologne




2eme version : 
L'espace est beaucoup plus grand, beaucoup plus saturé et lumineux. L'installation est in-situ, faite pour le lieu et éphémère puisqu'elle n'a été vue qu'en 2013-2014. Elle intègre la langue allemande, faisant écho avec son esprit de propagande au troisième Reich.  Une mezzanine est accessible pour que le spectateur puisse voir l'oeuvre en plongée et dans son ensemble. Le son y est présent. Le spectateur a donc une multitude de points de vue possibles, l'écriture est omniprésente, et touche le spectateur qui en ressortira saturé (de manière visuelle et auditive). 
Les photographies sont tirées de magazines spécialisés ou de manuels des années 40 ou 50. Kruger détourne donc ces images associées aux textes agressifs. L'oeuvre est donc sensorielle, et immersive. Le corps du spectateur est pris en compte dans l'oeuvre et en fait partie. 
Le son est un mélange de textes lus, d'applaudissements, et sature l'espace et les oreilles. 



















vue de la mezzanine. 

haut-parleurs diffusant le son. 



On voit donc à travers cette oeuvre et son évolution que Barbara Kruger a une réflexion qui a mûri, que la photographie de fond avec la foule a été réemployée à différentes reprises et que l'idée se transforme : d'une oeuvre bidimensionnelle elle devient une installation immersive et saturée. 

COURS 12 : LIENS ENTRE ARTS PLASTIQUES , THEATRE, DANSE ET MUSIQUE ( 1ERE SPE)

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